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pour l’âme une meilleure chose que l’amour, je dois croire que l’influence de M. Irwine dans sa paroisse était plus salutaire que celle du zélé M. Ryde, qui vint à Hayslope vingt ans plus tard, lorsque M. Irwine eut été réuni à ses pères. Il est vrai que M. Ryde insistait fortement sur les doctriues de la réformation, visitait souvent ses ouailles dans leurs demeures, s’élevait avec sévérité contre les abominations de la chair, et mit un terme’aux promenades des chanteurs dans l’église en temps de Noël, sous prétexte que ces divertissemens poussaient à l’ivrognerie et traitaient trop légèrement les choses saintes ; mais je tiens d’Adam Bede, que je consultai à ce sujet dans ses vieux jours, que peu de cleryymen étaient moins heureux que M. Ryde dans l’art de gagner les cœurs de leurs paroissiens. Ceux de M. Ryde gagnèrent à ses prédications une bonne quantité de notions touchant la doctrine, si bien que tous les fidèles au-dessous de cinquante ans commencèrent à distinguer ce qui dans la religion appartenait ou n’appartenait pas exactement à l’Évangile, absolument comme s’ils étaient nés et qu’ils eussent été élevés parmi les dissidens. Aussi quelque temps après son arrivée y eut-il un mouvement quasi-religieux dans ce tranquille district rural ; mais, disait Adam, j’ai vu clairement, depuis ma jeunesse, que la religion est quelque chose de plus que les doctrines. Il en est des théories en religion comme en mathématiques : un homme peut être très capable de faire des problèmes de tête devant son feu et en fumant sa pipe tranquillement ; mais s’il veut les appliquer à une machine ou à un bâtiment, il faut qu’il prenne une volonté et une résolution, et qu’il renonce un peu à ses propres aises. Ce ne sont pas les théories qui font marcher droit les choses, ce sont les sentimens. Peu à peu la congrégation commença à se refroidir, et les gens à mal parler de M. Ryde. Je crois qu’il voulait le bien au fond ; malheureusement il avait le caractère aigre, et liardait et disputait avec les gens qui travaillaient pour lui, de sorte que ses prédications, accommodées à cette sauce, ne paraissaient pas appétissantes. Et il lui fallait être le lord-juge de la paroisse et punir les gens qui se conduisaient mal. Il les malmenait du haut de la chaire comme s’il eût été un méthodiste, et cependant il ne pouvait pas souffrir les dissidens, et il était beaucoup plus courroucé contre eux que ne l’était M. Irwine. Il était très savant sur les doctrines, et avait coutume de les appeler le boulevard de la réformation ; mais je me suis toujours défié de cette science, qui ne rend pas les gens plus sages et plus raisonnables dans leurs affaires. Maintenant M. Irwvine était aussi différent de lui que possible. Il était si vif ! Il comprenait en une minute ce que vous vouliez lui dire ; il connaissait tout ce qui concernait le métier, et était capable d’apprécier si vous aviez fait de bonne besogne. Et il se comportait aussi poliment avec les fermiers, les vieilles femmes et les laboureurs qu’avec la gentry. On ne le voyait pas grogner et se mêler de ce qui ne le regardait pas, ni jouer à l’empereur. Ah ! c’était un aussi bel homme qu’il était possible, et si bon pour sa mère et ses sœurs !… La pauvre miss Anne qui était toujours malade, il s’occupait d’elle plus que du monde entier. Il n’y avait pas une âme dans la paroisse qui eût un mot à dire contre lui, et ses domestiques restaient à son service jusqu’à ce qu’ils fussent si vieux et si cassés qu’il fallait louer d’autres personnes pour faire leur ouvrage. »