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les a connus dans leur intimité la plus secrète, et la force active de sa sympathie agit sur nous, elle sollicite notre affection en leur faveur.

Le roman se passe dans le village imaginaire d’Hayslope, situé dans le comté imaginaire du Loamshire. Certains critiques anglais, se fondant sur le jargon particulier aux personnages du roman et sur certaines locutions et incorrections qui reviennent sans cesse, ont supposé que le Loamshire devait être un des comtés du centre de l’Angleterre. Je suis porté à croire que cette supposition est la vraie par une raison beaucoup plus simple, c’est que les personnages de ce roman (dont l’action se passe au commencement de ce siècle, à une époque où les moyens de locomotion n’étaient pas multipliés, où les habitans des campagnes n’avaient pas, comme aujourd’hui, la facilité de se déplacer) parlent des habitans du sud et du nord de l’Angleterre comme d’êtres à demi fabuleux, de mœurs étranges et d’habitudes inconnues. Quelque part d’ailleurs que soit placé le village d’Hayslope, il s’y passe une scène originale, inconnue en France, que les populations rustiques de l’Angleterre elles-mêmes ont rarement l’occasion de contempler, mais qui est très familière aux artisans des grandes villes et au peuple des districts manufacturiers : une prédication méthodiste, un appel à la conversion religieuse. Quoique le paysan anglais, fidèle à son église anglicane, soit difficilement porté à se laisser gagner par ces sortes de manifestations religieuses, les habitans d’Hayslope se sont dirigés en masse vers la place où la prédication a lieu, car la curiosité est doublée par la personne du prédicateur. Ce prédicateur est une jeune fille, Dinah Morris, la nièce du fermier Poyser, bien connu dans tout le district comme étant le principal tenancier du vieux squire Donnithorne. Dinah Morris est une pieuse fille, d’apparence frêle, mais à qui la violence de la charité donne des muscles d’acier, d’une beauté incertaine comme celle qui tient à la physionomie, mais touchante et irrésistible comme celle qui nous est donnée par l’âme, persuasive comme toute personne désintéressée, éloquente comme toute personne naïve dominée par l’enthousiasme du dévouement, Elle avait connu dans son enfance le pieux Wesley, et avait assisté à ses prédications, qui laissèrent dans son âme, naturellement accessible aux belles émotions, les premiers germes de piété. Depuis, ces germes avaient grandi, cette piété s’était faite active et s’était donnée toute à tous, mais spécialement à ceux qui semblaient le moins en être dignes, car la noble fille avait une affection particulière, que les physiologistes appelleraient maladive, mais que nous aimerions à baptiser d’un tout autre nom, pour les pécheurs et les endurcis, pour les âmes calleuses et frivoles, pour les souffrans et les infirmes. Comme les conversations de tous ces grossiers paysans sont