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et venaient en tous sens dans la forêt qui leur servait d’abri, déterminés d’ailleurs à se comporter vaillamment. Leur chef conservait seul au milieu de l’agitation générale ce calme et ce sang-froid qui accompagnent dans une grande âme une résolution énergiquement prise. On en trouve la preuve dans une lettre adressée par lui, le 18 août 1823, le jour même de la bataille de Karpénitzi, à lord Byron, qui se disposait à descendre à Missolonghi. « Votre lettre, écrit Botzaris, et celle du vénérable Ignazio[1] m’ont comblé de joie. Votre excellence est exactement la personne dont nous avons besoin. Que rien ne vous empêche de venir dans cette partie de la Grèce ! Un ennemi nombreux nous menace ; mais avec l’aide de Dieu et de votre excellence il éprouvera une résistance convenable. J’aurai quelque chose à faire ce soir contre un corps d’Albanais campé près de cette place. Après-demain, je partirai avec quelques hommes d’élite pour aller au-devant de votre excellence. Ne tardez pas. Je vous remercie de la bonne opinion que vous avez de mes compatriotes, et j’espère que vous ne la trouverez pas mal fondée[2]. »

Ces lignes ne témoignent-elles pas également de la simplicité et de la modestie qui faisaient le charme du caractère de Botzaris, et qui contrastaient vivement avec la sauvage arrogance et la vanité que la plupart des philhellènes ont remarquées dans les autres capitaines grecs ? Ce quelque chose qu’il avait à faire le soir, et qu’il indique si légèrement, ce n’était rien moins que le sacrifice de sa vie et le salut de son pays. Au milieu des grandes préoccupations de cette journée, le héros fut plus d’une fois attriste par la pensée de sa mort prochaine. Alexandre Soutzo, auteur d’une histoire de la révolution grecque, raconte qu’à l’approche de la nuit Botzaris se retira à quelque distance des siens, et qu’il s’assit absorbé dans une sombre rêverie. Toussas, son parent, qui l’avait suivi à son insu, le surprit versant des larmes ; il n’osa l’interroger. Marc, l’ayant aperçu, lui tendit la main ; « Que mon devoir est pénible ! dit-il ; je te recommande ma femme et mes enfans. »

Nous tenons de bonne source un épisode qui laisse bien voir quelle pieuse tristesse vint se mêler à l’inébranlable intrépidité de Marc Botzaris pendant ses derniers jours. Sur le point d’arriver à Karpénitzi, les Grecs traversèrent, quelques heures avant le lever du soleil, le petit village de Silitza, dont les habitans dormaient encore. En passant devant une humble chapelle, Marc entendit annoncer l’office divin au moyen de deux planchettes de bois frappées

  1. Ignazio était évêque métropolitain d’Arta. Ce digne prélat soutint libéralement la femme et les enfans de Botzaris, que Blaquières rencontra à Ancône en 1824 dans un état voisin de l’indigence.
  2. Relation de l’Expédition de lord Byron en Grèce, par le comte Pierre Gamba, ex-lieutenant-colonel de la brigade organisée et commandée par sa seigneurie ; 1825.