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Celui-ci, tout impatient qu’il était de consommer la ruine des Ottomans et de revoir l’objet de son affection, ne put reprendre son projet contre Arta qu’au mois de novembre 1821. Obligé de renoncer à contracter avec les Albanais une alliance plus que douteuse, il modifia ses plans. Former selon les règles de l’art le siège d’une ville aussi bien défendue lui parut cette fois une entreprise téméraire ; il craignait surtout que ses soldats, avides de mouvement, d’imprévu, de liberté, n’eussent point la patience et le calme que réclament les travaux d’un siège régulier. Il résolut de recourir à l’un de ces coups de main qui flattaient l’humeur entreprenante de ses compatriotes, et qui étaient tout à fait conformés à leur génie militaire. Botzaris s’entendit avec le chef des Acarnaniens, Karaïskos, qui promit de lui amener mille hommes, et il quitta Souli le 11 novembre 1821, à la tête de trois cents pallikares. Il comptait arriver pendant la nuit dans les plaines de l’Amphilochie, se jeter sur les Turcs au point du jour, culbuter un ennemi déconcerté par la surprise, et donner la main à Karaïskos au centre même de la place, que celui-ci devait attaquer du côté du midi. Ce projet, s’il était hardi, ne reposait pas moins sur une base sérieuse, quand on songe avec quelle facilité les Turcs lâchaient pied devant leurs fougueux adversaires. Par malheur, des pâtres turcomans, ayant remarqué le mouvement des Souliotes, jetèrent l’alarme dans Arta. Plusieurs milliers d’Albanais coururent aussitôt défendre le pont fortifié qui traversait alors l’Inachus, et dont Botzaris devait nécessairement s’emparer pour s’approcher de la ville. Marc n’hésita pas néanmoins à forcer le passage. Malgré les instances de leur chef et l’ardeur qui les animait, les Grecs ne dérogèrent point en cette occasion à l’antique habitude qu’ils tiennent des héros d’Homère, et qui consiste à vomir un torrent d’injures contre leurs ennemis au moment d’en venir aux mains. Les récits de batailles qu’on peut lire dans le remarquable travail de M. Tricoupi sur l’indépendance de la Grèce[1] témoignent de la ténacité de cette vieille coutume nationale ; l’auteur représente presque toujours les deux partis s’adressant au début de l’action de mutuels outrages, comme pour donner ainsi une première issue à leur colère.

Marc, désespéré de voir un temps précieux se perdre en paroles inutiles, s’efforça de mettre un terme à ces invectives, et réussit enfin à entraîner ses compagnons. À cet instant, huit cents cavaliers turcs traversent le pont de l’Inachus et fondent sur les Souliotes, qui ne peuvent résister. Ces derniers se replient rapidement sur le village de Mihourti, où ils se retranchent dans les maisons. Quatre pièces d’artillerie mitraillent les frêles habitations du village, que

  1. Σπυρίδωνος ριχούπη Ίστρία τής ίπαναστάσεως. — Spiridon Tricoupi, Histoire de l’Insurrection grecque, 4 vol. in-8o ; Londres 1856.