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lui assurait la possession d’une plage vaste et fertile, en même temps qu’elle lui ouvrait une précieuse voie de communication avec les flottilles hydriotes et les insurgés de l’Acarnanie. Pour la première fois, les Grecs allaient assiéger une grande ville et affronter peut-être les chances d’une bataille rangée. Cette perspective souriait singulièrement à leur chef. Botzaris ne voulut rien négliger pour mener à bonne fin une entreprise aussi importante. Les cavernes profondes des montagnes furent converties en arsenaux qui reçurent des provisions d’armes et de munitions confiées à la garde des prêtres et des vieillards ; des hôpitaux s’élevèrent dans les quatre villages de la Selléide pour recevoir les blessés. Les forêts de la Thesprotie et du canton de Rogoux furent sillonnées de chemins ; de larges entailles furent faites aux troncs des plus gros arbres, afin de guider les traînards sur la trace de leurs compagnons d’armes. Des postes d’observation occupèrent le sommet des montagnes qui environnent les plaines de l’Amphilochie ; ils devaient transmettre les ordres, les nouvelles, et instruire la petite armée chrétienne des mouvemens des Turcs au moyen de signaux. La dernière précaution de Botzaris fut de fortifier le caravansérail des Cinq-Puits et d’y mettre une garnison capable d’arrêter les renforts que Kourchid ne manquerait pas d’envoyer à Arta. Enfin une attaque fut dirigée contre le fortin du défilé de Variadès pour détourner l’attention du séraskier, et Marc descendit de Souli avec six cents hommes, après avoir assigné rendez-vous aux Chamides sur la limite du canton de Rogoux. Malheureusement Botzaris avait compté sans l’éternelle versatilité des Albanais, ses alliés ; à peine était-il sorti des montagnes qu’il apprit que ces derniers s’étaient de nouveau jetés dans le parti du sultan. Loin de se décourager, il résolut de ne pas rentrer dans Souli avant d’avoir conquis une communication avec la mer. Réduit à ses propres forces et ne pouvant plus songer à s’emparer d’Arta, il se porta rapidement contre la tour de Regniassa, située en face de l’île de Paxos, sur le rivage où s’élevait l’antique Cassiopée. Après un sanglant assaut, il s’en empara et y installa une garnison ; puis, se tournant vers le nord et apparaissant à l’improviste là où les Turcs l’attendaient le moins, il prit en Athamanie le poste important de Placa, dont il voulait faire un centre d’opérations militaires. Quelques jours plus tard, il taillait en pièces un corps d’armée qui se rendait au camp de Kourchid ; il rencontrait ensuite Ismaël-Pacha dans la plaine de Passaron, au pied des monts Olychiniens, et lui faisait subir une sanglante défaite. Enfin, après de nouveaux avantages remportés sur les troupes que Kourchid envoyait de toutes parts à sa poursuite, il vint se reposer à Souli de ces rapides victoires.

L’amour de la patrie n’était pas le seul mobile qui guidât Botzaris