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de Sainte-Quitterie se dirigea vers sa maison, traînant après lui une armée d’étrangers qui, bon gré, mal gré, devaient subir tous les excès de l’hospitalité gasconne. Jean Cassagne conduisait pour sa part une vingtaine de convives, parmi lesquels se trouvait Angoulin, ce qui n’empêcha pas Frix d’accompagner Margaride et de causer avec elle, après quoi il alla chez Moucadour prendre sa part du festin préparé aux écarteurs.

Il faudrait avoir la plume de Rabelais pour décrire le menu des festins épiques qui se donnèrent ce jour-là dans Sainte-Quitterie ; mais pour les appétits qui y faisaient honneur, il ne se trouva rien de trop. Chapons, moutons, dindons roulés dans le sucre, tous eurent le même sort. Ils furent engloutis dans des flots de vin blanc, et quand les convives revinrent au village pour assister au second acte de la fête, ils avaient le verbe haut, la face enluminée ; cependant ils étaient fermes sur leurs jambes, incapables de se laisser vaincre par le vin qu’ils faisaient eux-mêmes. Les vêpres furent promptement dépêchées, car le curé se sentait impuissant à contenir ses paroissiens, qui entendaient les mugissemens des taureaux enfermés dans les loges.

Après les vêpres, la procession de la course commença. En tête marchaient une douzaine de jeunes gens brandissant de longs bâtons armés d’aiguillons destinés à exciter la colère des taureaux trop débonnaires. Quelques-uns portaient de courtes baguettes entourées de papiers frisés et terminées par une pointe barbelée. Venaient ensuite les écarteurs, au nombre de dix, presque tous vêtus de coutil blanc et chaussés de souliers de même étoffe. La musique les suivait, et précédait le maire ceint de son écharpe, accompagné des commissaires de la course. Derrière ces personnages officiels sautait, criait, chantait toute la jeunesse de la fête, mise hors d’elle-même par les accords bruyans de la musique. Le cortège entra dans l’arène, dont il fit gravement le tour. La musique et le maire montèrent sur l’estrade d’honneur. Les écarteurs, le teneur de corde et tous les amateurs qui voulaient avoir l’air de ne pas craindre les taureaux restèrent dans l’arène. Les théâtres se remplirent de monde, et la course commença.

Il y avait huit taureaux. Un homme ouvrit la loge du premier taureau, en ayant soin de se servir de la porte comme d’un bouclier au moment où l’animal sortait. Celui-là était couleur de blaireau. Il avait la tête large, le cou gros et saillant, le fanon tombant. Moucadour tenait une corde dont une extrémité était passée autour de la tête de l’animal. Cette corde, ornée de rubans rouges, formait une sorte de couronne.

À peine le taureau fut-il en liberté, qu’on le vit gratter la terre et la fouiller avec son pied ; il remua la tête de côté et d’autre,