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792 REVUE DES DEUX MONDES.

server que, le père de Mlle Emmeline étant absent, il faudra attendre son retour.

— On pourra toujours faire les premières ouvertures à la mère, répondit le colonel en s’ obstinant. Par malheur Signoret n’est pas ici ; mais c’est égal, tu feras la demande toi-même, dès demain...

— Quoi ! moi-même, en personne ?

— Pourquoi pas ?.. Va, va, sois tranquille, tu ne seras pas refusé.

— Je le crois bien ! murmura le beau César avec un geste de fatuité superbe et en cherchant dans son esprit quelque moyen d’échapper à ce pressant danger.

Le colonel retomba épuisé sur ses oreillers et murmura, saisi d’un frisson subit : — Voilà l’accès de fièvre qui me reprend ; ... je me sens très mal... César, n’oublie pas ce que je t’ai dit... Il est inutile d’attendre le retour du père ; tu feras la demande demain...

— Oui, oui, mon oncle, répéta César ; ne vous tourmentez pas, tout ira selon votre volonté.

Le colonel eut une très mauvaise nuit ; il s’affaiblissait visiblement, et ses traits s’altéraient d’une manière effrayante. Vers le matin, saisi du pressentiment de sa fin prochaine, il appela son neveu, qui sommeillait sur un fauteuil, et dit en lui montrant du doigt la pendule : — Avant midi, tu iras demander cette petite en mariage. . . nous n’avons plus un moment à perdre...

— Ah ! mon oncle ; c’est aujourd’hui vendredi et le 13 du mois ! s’écria César.

— Je l’avais oublié ! murmura le colonel, dont la volonté ne tint pas contre cette objection. Eh bien ! ce sera pour demain,... demain matin... Je verrai les fiançailles, mais je n’assisterai pas à la noce... César se récria contre ces lugubres prévisions, et affecta la plus complète sécurité ; pourtant le médecin venait de lui déclarer que son oncle n’avait pas deux fois vingt-quatre heures à vivre. Mr Signoret arriva dans la matinée et passa quelques momens seul avec le malade. Après ce court entretien, le vieux garde-notes sortit de la chambre pour chercher César Fauberton ; celui-ci vint au-devant de lui en disant : — Eh bien ! cela ne va pas plus mal, j’ai grand espoir ; est-ce que vous n’êtes pas très rassuré aussi, mon cher monsieur Signoret ?

Le notaire haussa les épaules, serra la main de César et lui dit avec un soupir : — Le testament est entre mes mains ; ce pauvre homme a fait les choses absolument comme feu son oncle Denis Fauberton et son grand- oncle Justin Fauberton, dont j’avais reçu aussi les dernières volontés : savez-vous que vous êtes le troisième neveu que je vois hériter dans cette maison ! L’état du malade empirait de moment en moment ; sur le soir, il