Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là comme ailleurs, les plus capables ou les plus violens prenaient le dessus et se faisaient obéir. Les deux ormistes les plus puissans étaient un avocat appelé Villars et un ancien boucher, devenu solliciteur de procès, nommé Duretête. C’étaient deux hommes bien différens, représentant en quelque sorte les deux types du genre révolutionnaire. Avocat de bas étage, déclamateur sans conscience, démagogue au cœur de valet, Villars jouait un double jeu : insolent ou servile selon les circonstances, il offrait en secret ses services aux amis de Condé et même à ceux du roi, et en attendant il redoublait en public de violence pour nourrir et accroître sa popularité. L’ancien boucher Duretête était un personnage d’une tout autre trempe : c’était un fanatique sincère, dévoué à sa cause et ne cherchant que son triomphe, sans scrupule, il est vrai, sur les moyens. Il agissait plus qu’il ne parlait, mais son énergie et son désintéressement lui donnaient sur les siens une autorité presque absolue.

Tout ce que la fronde avait osé à Paris dans les quatre ou cinq mois qui précédèrent le retour du roi, l’Ormée, pendant ce même temps, l’entreprit et l’exécuta impunément à Bordeaux : elle s’attaqua par-dessus tout au parlement. D’abord elle tenta de dominer ses délibérations, puis elle en vint, comme nous l’avons dit, à demander l’expulsion de plusieurs des conseillers en les traitant de mazarins, ce qui était le crime à l’ordre du jour. Parmi ces conseillers proscrits pour leur attachement à la royauté, l’histoire en signale un de la famille et du nom de Montesquieu[1]. Bientôt tout ce qu’il y avait dans le parlement de gens sages, ceux même qui d’abord avaient été le plus attachés à la cause de Condé, furent contraints de se retirer devant les menaces et les insultes. Après le parlement, l’Ormée s’en prit à l’hôtel de ville. L’autorité municipale se composait à Bordeaux de six magistrats électifs, qu’on renouvelait par moitié d’année en année, et qui s’appelaient les jurats, avec un maire à leur tête. C’était une magistrature puissante et respectée ; elle lutta courageusement contre l’Ormée. Le parlement ayant condamné à mort pour quelque crime un des plus turbulens ormistes, les jurats, chargés de la police civile et criminelle, le firent mettre en prison. Une bande de ses confédérés accourut à main armée à l’hôtel de ville, demandant sa liberté sous caution. Leur demande ayant été rejetée, ils dressèrent un arrêt d’élargissement, et voulurent forcer le jurât alors présent à l’hôtel de ville de signer cet arrêt ; mais ils eurent beau lui mettre le poignard sous la gorge et menacer de le tuer, l’intrépide magistrat refusa constamment sa signature, et les factieux, auxquels le courage impose toujours, se contentèrent de délivrer leur camarade, moitié par ruse, moitié par

  1. Dom Devienne, p. 451.