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même quelque temps brouillés, jusqu’à ce que le mauvais succès des négociations entreprises par Mme de Châtillon eut ruiné le parti de la paix, et que le danger commun réunit tous les amis de Condé dans une seule et même pensée.

Si Lenet était le ministre de M. le Prince pour les affaires civiles, financières et diplomatiques, Marsin était chargé de toute la partie militaire, et il s’acquitta fort bien de cet emploi. Comme nous l’avons dit, Marsin était étranger ; il était né à Liège, dans le pays de ces vieilles bandes wallonnes qui avaient tant contribué à la renommée et au succès des armées de l’Espagne. Il avait suivi Condé dans presque toutes ses campagnes ; il lui devait ses grades, sa réputation, sa fortune. C’était sous ses auspices qu’à l’hôtel de Rambouillet il avait épousé Marie de Balzac, une des deux filles de la comtesse de Clermont d’Entragues[1]. Et quand tout récemment il avait quitté Barcelone pour venir, avec des régimens qu’il enlevait au roi, grossir et fortifier l’insurrection de Guienne, il avait bien compris qu’après un tel acte il n’avait plus d’autre ressource, d’autre espoir, d’autre asile que le triomphe de son général. Il savait aussi que, dans toutes ses négociations avec la cour, Condé avait demandé pour lui le bâton de maréchal de France, et que si cette proposition avait été constamment repoussée, elle avait été inflexiblement maintenue. Il était donc tout dévoué à Condé, et ne connaissait que ses ordres, qu’il exécutait aveuglément avec l’énergie et la rudesse de son métier, sans témoigner beaucoup d’égards au prince de Conti, avec lequel il gardait son ton et ses habitudes soldatesques, tandis qu’il honorait Mme de Longueville, parce qu’il la voyait sincèrement attachée à la cause commune.

Au premier rang du conseil et environnée d’universels hommages était Mme la princesse de Condé, qui s’était si noblement conduite dans la première guerre de Guienne en 1650. Cette fois, fatiguée par une grossesse pénible, toujours souffrante et éclipsée par sa belle-sœur, elle s’effaçait volontiers, et se bornait, avec sa douceur accoutumée, à recommander autour d’elle la modération et l’union, surtout l’absolue obéissance aux instructions de son mari, dont elle-même ne cessa de donner le plus parfait et le plus touchant exemple.

Voilà quel était le gouvernement laissé en Guienne. Il pouvait suffire à la seule tâche qui lui avait été confiée : attendre quelque temps les succès de Condé ; mais il était hors d’état d’y suppléer et de sauver la fronde à Bordeaux, si elle était vaincue à Paris. Il manquait ici la première, l’impérieuse condition de tout pouvoir solide

  1. Voyez la Société française au dix-septième siècle, ch. VII, p. 352 et 361.