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II

Le prince de Conti avait le titre de lieutenant-général de son frère en Guienne ; il était revêtu de tous les pouvoirs d’un gouverneur de province, et il devait les exercer à l’aide d’un conseil, composé de la princesse de Condé, de Mme de Longueville, de Lenet, de Marsin et du président Viole.

Le prince de Conti avait alors vingt-trois ans[1]. Il ne manquait ni d’esprit ni de cœur. Il avait assez bien réussi dans son commandement d’Agen et montré du courage à Miradoux ; mais il ne possédait ni les habitudes laborieuses, ni la suite, ni la fermeté d’un administrateur et d’un général : il avait besoin d’être conduit, et cela même ne se pouvait sans bien des délicatesses et des ménagemens, son principal défaut étant une vanité ombrageuse qui s’accommodait assez mal du second rang, quoiqu’il fût incapable du premier. Beaucoup plus jeune que Condé et Mme de Longueville, né faible, même assez chétif, d’une taille défectueuse, quoique d’une assez noble figure, et par ces motifs destiné à la carrière ecclésiastique, Armand de Bourbon s’était de bonne heure attaché à sa sœur en retour des tendres soins qu’elle avait pris de sa maladive enfance. Un peu plus tard, lorsqu’il sortit du collège des jésuites de Paris, où il avait fait de brillantes études, jeune abbé vivant dans le monde et attendant le chapeau de cardinal, il avait revu avec admiration, dans tout l’éclat de son esprit et de sa beauté, cette sœur, devenue la reine des salons et de la mode, et tandis que la gloire de Condé lui pesait un peu, la douceur et les grâces de Mme de Longueville le captivèrent au point que, dans ce cœur pur et innocent encore, la plus légitime tendresse avait pris à son insu le caractère d’un autre sentiment. Mme de Longueville, qui commençait alors à se lier avec La Rochefoucauld et songeait déjà à la fronde, n’était pas fâchée de cette affection passionnée qui lui permettait de disposer d’un prince du sang. Elle l’avait engagé à sa suite dans les affaires de Paris en 1648 et 1649, et pendant quelques années elle l’avait gouverné presque absolument. Peu à peu ce dévouement chevaleresque s’était refroidi. Conti avait trouvé fort à son gré Mlle de Chevreuse, qu’on lui avait destinée au commencement de 1651, et se voyant à Bordeaux libre et tout-puissant pour la première fois de sa vie, l’amour-propre, les premiers déréglemens de la jeunesse, les flatteurs qui s’empressent toujours autour d’un jeune prince pour favoriser à leur profit ses mauvais penchans, tout

  1. Sur le prince de Conti, voyez la Jeunesse de Madame de Longueville, ch. IV.