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Déjà, quelque temps auparavant, étant encore à Libourne, les mêmes nouvelles lui étaient parvenues, et dès lors il avait eu la pensée de se rendre lui-même sur les bords de la Loire et à Paris, dans la triste conviction qu’en Guienne avec de pareilles troupes rien de grand n’était possible, tandis qu’en allant prendre le commandement de l’armée du duc de Nemours et du duc de Beaufort, composée de véritables soldats, il espérait frapper des coups décisifs qui retentiraient jusque dans la Guienne, et feraient plus pour sa cause que de petits combats, où il compromettait chaque jour sa vie et sa gloire. Mais, avant de s’embarquer dans un voyage aussi hasardeux, il consulta les amis qui l’entouraient. La Rochefoucauld et Marsin se bornèrent à discuter avec lui le pour et le contre sans conclure dans un sens ni dans un autre[1]. Lenet et Fiesque lui-même, qui était alors en Guienne, ne se prononcèrent pas davantage. Il n’en fut pas ainsi de Mme de Longueville. Par une sorte d’intelligence naturelle avec tous les instincts héroïques de son frère, elle n’hésita point à lui conseiller la résolution à laquelle il inclinait, et avec le président Viole « elle en déduisit les raisons[2]. » La Rochefoucauld garde un incroyable silence sur ce détail intéressant, qu’il ne pouvait pas ignorer ; mais le témoignage de Lenet, si bien informé, ne laisse place à aucun doute, et met en lumière la parfaite conséquence et là haute fermeté d’âme et d’esprit de Mme de Longueville. Depuis le jour fatal où elle avait tant contribué à jeter Condé dans la guerre civile, elle n’eut plus qu’un avis, ne poser les armes qu’après la victoire. Ne nous étonnons donc pas qu’ici, lorsqu’aucun des amis et des lieutenans de M. le Prince n’osait avoir une opinion, elle prît encore sur elle la responsabilité d’un conseil périlleux sans doute, mais qui seul pouvait le sauver, lui et la cause qu’il avait embrassée.

En quittant la Guienne, Condé redoubla de soins et de précautions pour la mettre en état de se défendre pendant son absence. Il investit le prince de Conti du commandement suprême, en plaçant à côté de lui un conseil capable de le diriger. Il écrivit en Espagne pour presser l’exécution du traité du 6 novembre 1651 et réclamer de nouveaux subsides et une nouvelle flotte ; puis, sans avoir pu embrasser ni sa femme enceinte de plusieurs mois, ni son fils, ni sa sœur, qui étaient loin de lui à Bordeaux, il partit d’Agen le jour des Rameaux, comme nous l’avons dit, pour aller chercher les aventures, les brillans succès et les irréparables désastres que nous avons racontés.

  1. La Rochefoucauld, ibid., p. 129.
  2. Lenet, p. 540.