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placé son infanterie à Miradoux et logé toute sa cavalerie en avant de la ville avec un peu de négligence et dans des quartiers assez éloignés les uns des autres, il fond sur ces quartiers, les culbute, défait six régimens[1], dont une partie s’enfuit vers Lectoure et Montauban, et le reste se réfugie à Miradoux sous la protection de l’infanterie[2]. Jusque-là, tout ce que pouvait faire un capitaine et un soldat, Condé l’avait fait : il avait réussi par la promptitude de la résolution, la célérité de la marche, l’audace et la vigueur de l’attaque ; mais pour emporter une ville telle que Miradoux, tout le génie et toute la valeur du monde ne pouvaient rien sans canons et sans une infanterie un peu solide. Miradoux en effet est une petite ville située sur le haut d’une montagne presque inaccessible, et où l’on ne peut arriver que par un chemin étroit et raide, coupé de haies et de fossés. Condé ne pouvait aller chercher Saint-Luc dans ce nid d’aigle, défendu par une infanterie d’élite. Tout lui manquant, il eut recours à la seule force qui lui restât, l’ascendant de son nom. Il donna la liberté à quelques prisonniers, qui, se sauvant à Miradoux, y répandirent la nouvelle que M. le Prince en personne en faisait le siège. À ce bruit, tout prit l’épouvante, et, la nuit venue, la garnison tenta de s’échapper et de se retirer à Lectoure. Il lui fallait passer par l’unique chemin dont nous avons parlé. Le vigilant Condé, qui l’épiait et l’attendait en silence, se jeta sur elle, la renversa, et l’aurait entièrement détruite, s’il n’avait eu affaire aux meilleurs régimens de l’armée française. C’étaient les deux vieux régimens de Champagne et de Lorraine, éprouvés dans cent combats, et pour lesquels Condé avait la plus haute estime. Que n’aurait-il pas fait pour acquérir une pareille infanterie ! Vainement il s’efforça de lui persuader de se rendre, dans l’espoir peu dissimulé de l’engager ensuite à passer de son côté : Champagne et Lorraine voulaient bien se retirer sur Lectoure avec leurs armes et tous les honneurs de la guerre ; mais la seule idée d’une capitulation équivoque révolta ces braves gens. On dit que Lamothe-Védel, lieutenant-colonel de Champagne, sommé de se rendre, ne fit que cette réponse : « Je suis du régiment de Champagne. » Condé voulut au moins les obliger à ne pas servir de six mois[3], car sans cela tous

  1. La Rochefoucauld, p. 119.
  2. Il y a ici dans les deux récits de La Rochefoucauld et de Balthazar des différences de détail sans importance ; mais La Rochefoucauld était à l’affaire, tandis que Balthazar était sur un autre point du théâtre de la guerre.
  3. Tel est le dire de La Rochefoucauld, qui doit être cru, puisqu’il sut parfaitement tout ce qui se passa à Miradoux, où il ne quitta pas un moment Condé. Le prince de Tarente, qui n’était pas là, prétend (p. 95) que les deux régimens offraient de ne servir de deux ans contre le parti des princes, pourvu qu’ils ne fussent pas prisonniers de guerre. Balthazar, qui était ailleurs comme Tarente, dit (p. 315) que Condé s’opiniâtra au siège de Miradoux, « ne le voulant pas prendre à composition. »