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une reconnaissance de quelques jours, donna toutes les instructions nécessaires à la subsistance des troupes pendant son absence, et marqua soigneusement les divers points où les fortifications de la ville demandaient à être augmentées. Puis, la nuit venue, il partit à onze heures du soir, avec plusieurs régimens bien choisis, mais qui pourtant ignoraient ses desseins et croyaient qu’ils allaient tenter une diversion sur les derrières de l’ennemi. Ils s’étonnèrent quand ils virent qu’on leur faisait prendre une route bien différente ; cependant ils suivirent leur général, passèrent les Pyrénées avec des fatigues incroyables, et arrivèrent en Guienne, apportant à Condé le précieux renfort de mille fantassins et de trois cents cavaliers[1]. D’autre part, le baron de Vateville, pressé par Lenet, entra dans la Gironde avec une flotte composée de huit vaisseaux de guerre[2]. Enfin le fameux colonel allemand Balthazar, successivement formé à l’école de Gustave-Adolphe, du grand-duc Bernard et de Gassion, et qui déjà s’était distingué en Catalogne sous le comte d’Harcourt, sous Condé lui-même et sous le maréchal de Schomberg, trouvant que la cour ne le traitait pas assez bien, après avoir inutilement offert ses services à d’Harcourt, comme il nous l’apprend lui-même[3], les offrit à Condé, et au mois de novembre 1651 vint se mettre sous ses ordres. Balthazar était le type achevé de l’officier de fortune, connaissant parfaitement son métier, se battant bien, et même incapable de trahir, tant que dureraient ses engagemens. C’est avec ce peu de forces, et même avant qu’elles fussent rassemblées, que Condé commença la campagne.

Il l’ouvrit par les plus brillans succès. Il établit Vateville et ses Espagnols à Bourg, sur la Gironde, afin de servir de rempart avancé à Bordeaux et de contenir le duc de Saint-Simon, qui commandait pour le roi à Blaye. Il mit à Libourne une petite garnison, sous le commandement du comte de Maure. Ensuite, en moins de quinze jours, il se répandit comme un torrent dans toute la Guienne, dans le Périgord, l’Angoumois et la Saintonge. À sa droite, il se jeta sur Agen et y plaça son frère, le prince de Conti, prit Bergerac et Périgueux, et s’avança jusqu’aux portes d’Angoulême, que gardait le brave et fidèle Montausier. À sa gauche, il s’empara du cours de la Charente, envahit Saintes, Taillebourg, Tonnai-Charente, et conçut un dessein vraiment digne de lui. Il songea à passer dans le gouvernement du comte Du Dognon et à y transporter le théâtre de la guerre. Il eût été là dans une position admirable, appuyé sur La

  1. Mémoires de La Rochefoucauld et du colonel Balthazar.
  2. La Rochefoucauld, collection Petitot, t. LII, p. 103.
  3. Histoire de la guerre de Guyenne, Cologne, 1694, petit in-12. Nous nous servons de l’excellente édition qu’en vient de donner M. Moreau en 1858, in-12, p. 295.