Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Bordeaux, qui s’acquitta fort bien de cette commission, mais avec d’inévitables lenteurs. C’est à peine si en janvier 1652 Nemours et Tavannes avaient quitté la Flandre, et il leur fallut se réunir aux troupes du duc d’Orléans, conduites par le duc de Beaufort, pour faire tête ensemble à l’armée royale, qui, sous d’Hocquincourt et Turenne, s’avançait vers Paris. En vain Condé réclamait ses soldats, et s’efforçait de faire comprendre au duc d’Orléans, le chef reconnu du parti et avec lequel il venait de traiter[1], quelle faute c’était de tant diviser leurs forces, promettant, si on lui rendait Nemours et Tavannes, de battre d’Harcourt, et de secourir efficacement la capitale, en contraignant le gouvernement royal, résidant à Poitiers, de rappeler toutes les troupes dont il pouvait disposer, afin de couvrir Poitiers et de se défendre lui-même. Mais la jalousie du duc d’Orléans et l’inimitié de Retz n’entendaient pas ménager à Condé un pareil succès, en sorte qu’il se trouvait à Bordeaux avec de mauvaises recrues, dans l’impuissance de rien tenter de grand, tandis que son armée était loin de lui sur les bords de la Loire.

Heureusement il avait de bonne heure envoyé Lenet à Madrid pour y conclure avec l’Espagne un traité qui lui assurât des subsides et des soldats. Ce traité avait été signé le 6 novembre 1651, et même avant qu’on le pût ratifier officiellement, l’habile diplomate avait persuadé à don Luis de Haro, en vertu d’engagemens antérieurs négociés en Flandre par Silleri, de faire entrer dans la Gironde la flotte espagnole qui était toute prête à Saint-Sébastien. En même temps, Condé avait écrit à son ami le comte de Marsin, vice-roi de Catalogne, pour le prier de venir le joindre aussi promptement et avec autant de troupes qu’il pourrait, et Marsin n’avait point hésité. Pour juger équitablement sa conduite, il se faut souvenir qu’il n’était pas Français et qu’il devait tout à Condé. C’est M. le Prince qui en 1649 avait demandé et obtenu pour lui la vice-royauté de Catalogne ; aussi, quand on l’arrêta lui-même au Louvre en janvier 1650, on n’avait pas manqué de mettre la main à Barcelone sur son dévoué lieutenant, et pendant toute la prison de l’un on avait tenu l’autre dans la forteresse de Perpignan. Dès que Condé avait été libre, il s’était empressé de délivrer Marsin et de le faire rétablir dans son gouvernement. Il était évident que le ressentiment de la cour allait de nouveau s’étendre sur Marsin, et qu’il avait à choisir entre une prison nouvelle et une prompte fuite. Il prit son parti sur-le-champ ; mais, fidèle au devoir militaire jusque dans la défection, il fit venir le lieutenant-général Marguerit, qui commandait sous lui à Barcelone, l’avertit qu’il allait faire dans les environs

  1. Voyez la livraison du 1er mars, p. 192.