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une seule fois à la cour et dans ces salons du Palais-Royal et du Louvre, témoins de ses anciens succès, où son esprit et sa beauté lui promettaient de nouveaux triomphes.

À peine arrivé à Bordeaux et au milieu des fêtes qu’on lui prodiguait, Condé reconnut bien vite les dangers qui le menaçaient. Il voyait autour de lui de grands éclats de zèle, sans aucune force effective, et il savait qu’il se préparait contre lui une expédition considérable confiée à un chef résolu et expérimenté, le comte d’Harcourt, de la maison de Lorraine, l’un des meilleurs capitaines de son temps, qui s’était couvert de gloire en Italie, et qui était à ce point dévoué à la cour qu’en 1650 il s’était chargé de conduire lui-même Condé prisonnier de la forteresse de Marcoussis à celle du Havre. Pour faire face à l’orage qui s’avançait, Condé n’avait ni troupes ni argent : jamais il ne s’était vu dans une situation plus critique ; jamais aussi il ne déploya une plus grande capacité administrative et militaire.

Il s’empara d’abord sans hésiter des sommes qui se trouvaient dans les caisses publiques, et, pour s’assurer des ressources pécuniaires sans fouler les peuples, il prit une mesure habile : il diminua les contributions de la province et tint fermement la main à leur recouvrement. Avec le premier argent qu’il se procura ainsi, il envoya des commissaires dans tout le pays pour lever des soldats et les diriger à la hâte sur les points qu’il désigna ; mais une armée ne s’improvise point, et au bout de plusieurs mois il n’avait encore que des recrues sans armes, sans munitions, sans instruction et sans discipline. Il fit appel à tout ce qu’il avait d’amis parmi les gentilshommes de ces contrées. Il traita avec le vieux maréchal de La Force du côté de Bergerac, avec le marquis de Bourdeilles du côté de Périgueux, avec le prince de Tarente à Taillebourg, avec le comte Du Dognon à La Rochelle. La Force entra ouvertement dans le parti de M. le Prince, mais quelques mois après il mourut à Bergerac à l’âge de quatre-vingt-treize ans, et son fils aîné ne tarda pas à se mettre en communication avec Mazarin par l’intermédiaire de Turenne, son gendre. Bourdeilles promit beaucoup et ne fit presque rien. Le prince de Tarente, le fils et l’héritier du duc de La Trémoille, tint loyalement ses engagemens ; mais, son régiment étant à Dunkerque, il ne voulut se déclarer qu’après avoir rassemblé un peu de monde avec l’argent que lui envoya Condé[1]. Du Dognon était venu lui-même à Bordeaux offrir au prince ses vaisseaux et ses soldats, comptant bien que la victoire n’abandonnerait pas ce grand gagneur de batailles, et sous l’expresse condition du bâton de maréchal

  1. Voyez les Mémoires, trop peu connus et appréciés, d’Henri Charles de La Trémoille, prince de Tarente, Liège, in-8o, 1767.