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content de la musique de son opéra, qu’il l’a invité à souper après la représentation, à laquelle le chantre d’Armide et d’Orphée avait assisté. On est heureux de trouver dans la vie des hommes illustres cette haute et noble impartialité. On sait quelle fut la réponse d’Haydn au père de Mozart, qui lui demandait un jour ce qu’il pensait de son fils : « Sur mon honneur et devant Dieu, je déclare que votre fils est le premier des compositeurs vivans, » répondit le grand maître qui a créé la symphonie et tant de chefs-d’œuvre.

Mozart avait sous la main, lorsqu’il composa l’Enlèvement du Sérail, un personnel de chanteurs tout à fait remarquables. C’est pour la Cavalieri, cantatrice brillante qui possédait une voix de soprano très étendue et très flexible, qu’il a écrit le rôle de Constance. Fischer, une basse profonde et un excellent comédien, qui était fort aimé du public viennois, a créé le rôle d’Osmin, et le ténor Adamberger, qui chantait avec infiniment de goût, celui de Belmonte ; une demoiselle Teyber fut chargée du personnage secondaire de Biondina, et un certain Dauer de celui de Pedrillo. Mozart, qui était jeune, sans position, ayant à lutter contre des adversaires puissans, dut faire de nombreuses concessions à des virtuoses à la mode, qui jouissaient de la faveur du public, et qui consentaient à chanter la musique d’un Allemand connu et estimé, surtout comme compositeur de musique instrumentale. C’est ce qui explique les nombreux traits de bravoure qui remplissent tous les airs que chante Constance, écrits pour la voix brillante de la Cavalieri, et les notes profondes qui apparaissent si fréquemment dans la partie d’Osmin, qui va jusqu’au d’en bas. Par ces traits et d’autres encore que nous pourrions citer, Mozart a payé son tribut à la fortune et au goût du public, près duquel il lui importait de réussir. Pour être un génie éminemment créateur, on n’échappe pas entièrement à la loi de son temps. Il y a donc de certaines formules vocales qui ont vieilli dans l’Enlèvement du Sérail, comme il s’en trouve aussi dans la Flûte enchantée et même dans Don Juan. Ce sont des parties accessoires, des détails minimes, qui n’altèrent pas la jeunesse éternelle du fond. Avons-nous besoin de citer les nombreux morceaux de l’Enlèvement du Sérail, qui sont populaires depuis bientôt quatre-vingts ans, et qui conservent leur fraîcheur printanière : le premier air de Belmonte, les couplets si connus d’Osmin, le duo qui en résulte ensuite avec Belmonte, le chœur sur une marche turque, si gai et si original, et le trio qui termine le premier acte ; — au second acte, le duo pour basse et soprano entre Osmin et Biondina, si franchement comique, l’air de Biondina, le duo si piquant d’Osmin et de Pedrillo, l’air admirable que chante Belmonte, et le quatuor qui sert de finale ? Au troisième acte, on remarque encore la jolie romance de Pedrillo, l’air d’Osmin, si plein d’une fureur comique, et le finale, qui est à la fois bien en situation et si parfaitement musical.

L’Enlèvement du Sérail, qui n’aurait jamais été représenté sans la protection de l’empereur Joseph II, qui tenait à voir s’établir à Vienne un théâtre national, fut un grand événement pour l’Allemagne. Ce délicieux chef-d’œuvre de Mozart fut accueilli avec enthousiasme. Depuis les petits opéras populaires de Hiller, de Dittersdorf et d’autres compositeurs de second et troisième ordre, c’était la première fois qu’on entendait une musique aussi élégante et aussi neuve écrite par un Allemand sur un texte national, C’est à propos