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de Corneille. C’est toujours avec une répugnance extrême que je vois exposé sur un théâtre lyrique des personnages consacrés par de pieuses légendes, que j’y entends traduire en cantilènes plus ou moins dansantes les sentimens les plus profonds de l’âme humaine. Si j’avais le bonheur d’être autre chose qu’un philosophe respectueux pour le christianisme, je me révolterais d’entendre de sublimes vérités comme celles du Credo débitées sur une scène publique par un chanteur plus ou moins bien inspiré. C’est à l’église, dans les accords d’un Palestrina, d’un Mozart ou d’un Cherubini, qu’il sied d’aller chercher les émotions sévères qui entr’ouvrent à l’âme les perspectives de l’infini. Quoi qu’il en soit de notre manière de voir, si l’on veut hasarder au théâtre un sujet religieux, il faut le réussir complètement, y être porté par une vocation particulière ou soutenu par le génie.

Poliuto a été composé à Naples en 1839 pour les débuts d’Adolphe Nourrit, qui en avait lui-même disposé le scénario d’après la tragédie de Corneille. La représentation en fut interdite par la censure napolitaine. Donizetti reprit sa partition, y ajouta quelques morceaux nouveaux, et la fit jouer à l’Opéra, en l’appelant les Martyrs, le 10 avril 1840. Ce fut Duprez qui chanta alors le rôle de Polyeucte. Ce n’est après tout qu’une faible composition, d’un style lâche et fort inégal. Un beau sextuor qui reproduit les effets de celui de Lucie et qui forme le nœud du finale du second acte, une mélopée assez vulgaire qui traduit le symbole de Nicée, et un duo très passionné et très émouvant entre Poliuto et sa femme au troisième acte, ce sont là les seuls morceaux qui méritent d’être signalés de cette œuvre longue et fastidieuse, car la prière que chante Poliuto au premier acte, et qui nous a frappé par un certain accent religieux, n’est pas de Donizetti ; elle est l’heureuse inspiration d’un chanteur allemand nommé Strigelli. M. Tamberlick a été remarquable dans le rôle de Poliuto, dont il a composé le caractère avec noblesse et une grande sobriété de gestes et d’intonations. Dans le beau duo du troisième acte surtout, il a produit un grand effet à côté de Mme Penco, dont la voix passionnée a excité l’admiration de tous. Pendant la semaine sainte, le Théâtre-Italien a donné deux concerts spirituels, où l’on a exécuté le Stabat de Rossini, comme on avait exécuté Don Juan et Otello, en sorte que la direction n’a qu’à se féliciter de la longanimité du public.

Après le Faust de M. Gounod, dont les connaisseurs ont su apprécier les qualités distinguées, le Théâtre-Lyrique, qui est forcé de vaincre toujours ou de fermer ses portes, a cherché encore une fois dans les œuvres du passé une ressource contre des nécessités présentes. Un petit opéra en un acte de Weber, Abou-Hassan, et un charmant chef-d’œuvre bien connu de Mozart, l’Enlèvement du Sérail, ont été traduits, arrangés et représentés avec succès au Théâtre-Lyrique le 11 mai. C’est en 1810, à Darmstadt, où Weber étudiait la composition avec Meyerbeer, sous la direction de l’abbé Vogler, qu’il composa le petit ouvrage qui nous occupe. L’auteur du Freyschütz avait alors vingt-quatre ans, et non pas quinze, puisqu’il était né en 1786. Il s’était déjà essayé au théâtre, car il avait écrit la Fille des Bois en 1800 à Munich, Peter Schmol à Augsbourg en 1801, Sylvana, nouvelle élaboration de la Fille des Bois, en 1806. Le sujet de la pièce, très simple et très naïf, puisqu’il s’agit d’un pauvre ménage de deux amoureux, Hassan et Fatime, qui se consolent de leur détresse par l’affection qu’ils ont l’un pour l’autre,