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notre appréciation ne fait pas d’injure à la puissance financière de la France. Quand, pour expliquer l’abondance de capitaux disponibles que la souscription de l’emprunt a révélée, l’on aura dit que la liquidation de la crise commerciale de l’année dernière a dégagé beaucoup de fonds qui sont restés sans emploi, que la crainte de la guerre a également amené des réalisations de portefeuilles, et que, les affaires s’étant ralenties, le capital est moins demandé que dans les dernières années, il n’en restera pas moins ce fait énorme, qu’au début d’une guerre dont le pays a compris toute la gravité, il a été réuni en huit jours et déposé au trésor 250 millions, c’est-à-dire la moitié de l’emprunt que l’état ne compte réaliser que par une série de versemens qui doit s’étendre sur dix-huit mois. Bien loin de tirer de ce fait des inductions qui montreraient le pays aveuglément épris de la guerre, voyons-y ce qui s’y trouve réellement. La puissance financière que la France témoigne au début de la guerre, elle la doit aux travaux et aux prospérités de la paix. Ce sont les réserves accumulées par la paix qui nous permettent de commencer la guerre sous de si brillans auspices financiers ; aussi nous associons-nous entièrement aux paroles suivantes que nous lisons dans le rapport de la commission du corps législatif sur le budget. Après avoir exprimé les plus ardentes sympathies pour nos soldats courant à la défense du drapeau national, le rapporteur ajoute : « Votre commission est dans son rôle légitime en faisant aussi des vœux pour qu’ils soient rendus le plus tôt possible à leurs familles, pour que la guerre soit de courte durée, et que l’Europe puisse bientôt jouir de nouveau des bienfaits de la paix, qui, à notre époque de civilisation avancée, est devenue indispensable au développement du progrès moral et matériel. »

De pareilles manifestations officielles, démonstration incontestable de la modération que la France veut apporter dans la guerre actuelle, ne peuvent qu’être utiles au succès de notre entreprise ; mais pour que la foi que nous avons nous-mêmes dans notre modération soit communicative, il faut qu’elle soit agissante, il faut qu’elle soit justifiée par tous les actes de notre politique. En Italie d’abord, puis dans les pays où peuvent s’agiter des nationalités malheureuses ou remuantes, cette tâche de concilier la modération avec les intérêts de la guerre est, nous le reconnaissons, hérissée de difficultés. Pour vaincre ces difficultés, il faut avoir le courage de les regarder en face. En Italie par exemple, il est évident qu’un des principaux intérêts de la guerre, c’est que le plus tôt possible on voie se lever pour l’indépendance les populations unanimes, c’est qu’une force militaire italienne considérable se recrute, s’organise et s’éprouve dans les combats. La France, qui ne veut pas conquérir l’Italie, qui veut au contraire que l’Italie puisse se passer bientôt du concours qu’elle lui prête en ce moment au prix de son sang et de son or, la France a besoin pour elle-même de cette manifestation militaire de l’Italie ; elle en a besoin aussi pour gagner moralement vis-à-vis de l’Europe la cause de l’indépendance italienne, car l’Europe ne croira réellement à l’indépendance de l’Italie que le jour où il lui sera prouvé que l’Italie a non-seulement la volonté, mais la force de repousser l’étranger. Il ne paraît guère possible de former dans l’Italie septentrionale et centrale une force militaire imposante sans la grouper autour du véritable noyau de l’indépendance italienne, qui est l’armée piémontaise, et du chef de cette armée, le roi