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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mai 1859.

Une situation dominée par la guerre présenterait de singulières difficultés à la presse politique, lors même que la presse jouirait de la plénitude de ses libertés. Observer les faits et influer sur la direction qu’ils doivent suivre en arrivant par la discussion à la persuasion des esprits, voilà la tâche et le procédé de cette fonction de la civilisation moderne, par laquelle l’opinion et la raison publique doivent à la fois se manifester et se conduire. La guerre, substituant l’action violente à l’action délibérée dans le mouvement politique, trouble inévitablement la fonction de la presse. Non-seulement l’écrivain ne peut rien sur les événemens de la guerre, mais il lui est à peu près impossible de les connaître, c’est-à-dire d’en apprécier avec justesse, au moment même où ils s’accomplissent, l’enchaînement et la portée militaire. La guerre restreint du même coup l’horizon politique et l’influence de la presse. Elle est si naturellement féconde en surprises, qu’il faut braver le ridicule qui s’attache au rôle de prophète et aux conjectures téméraires pour oser en pronostiquer et en débattre au jour le jour les conséquences politiques. C’est surtout au commencement d’une guerre que l’on rencontre ces obstacles. Quand la guerre a duré quelque temps, ses tendances militaires et politiques se laissent pénétrer, et l’opinion peut du moins se guider sur de fortes vraisemblances ; mais, lorsqu’elle commence à peine, lorsqu’elle n’a pas encore imprimé sur les événemens sa griffe capricieuse et terrible, lorsque sa marche n’est point encore décidée, lorsque l’on n’entrevoit encore que de vagues indices, comment l’observateur et le juge politique pourraient-ils dissimuler l’obscurité de leurs vues et les tâtonnemens de leur pensée ? Nous faisons pour notre compte l’humble et sincère aveu de ces embarras que nous ressentons dans les circonstances actuelles, et nous prions que cet aveu nous soit une fois pour toutes un titre à l’indulgence des lecteurs pour les assertions hasardées et les appréciations incorrectes dont nous nous rendrons coupables durant la période de guerre qui est devant nous.