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l’exclusion des provinces austro-italiennes du Zollverein allemand. Ce ne sont donc ni les traditions ni les obligations fédérales qui font de la cause de l’Autriche la cause de l’Allemagne, et, à un point de vue plus élevé, l’identité des intérêts et des politiques est moins réelle encore.

Quand on considère ce grand pays de l’Allemagne, avec lequel la France n’a certes nulle envie d’être en querelle, même pour le Rhin, un fait frappant se révèle aussitôt. Dans cet espace qui s’étend entre l’Europe méridionale et la Russie, entre la mer à l’occident et les contrées danubiennes à l’orient, il y a pour ainsi dire deux êtres, deux forces, deux systèmes. Il y a une Allemagne divisée par les démarcations politiques et unie par le patriotisme, une Allemagne vivant de sa vie propre, ayant ses intérêts, ses aspirations, sa langue, sa religion, forte d’un sentiment national qui est partout sans doute, chez les petits comme chez les grands, mais qui trouve en quelque sorte sa personnification dans la Prusse nouvelle. À côté est un empire, puissant certainement, mais mal lié et composé de races diverses, ayant des intérêts en Allemagne, cela est clair, mais ayant des intérêts plus grands encore hors de l’Allemagne. L’Autriche ne compte pas plus de huit millions d’Allemands sur une population de près de quarante millions d’hommes rassemblés sous le sceptre impérial, et elle n’est comprise dans la confédération que pour une population de treize millions d’habitans. Il s’ensuit que les tendances et les intérêts allemands sont essentiellement distincts des intérêts et des tendances de l’Allemagne. Ce que veut l’Allemagne, ce qu’elle poursuit depuis longtemps, l’organisation, la constitution de sa nationalité, l’Autriche l’empêche. Ce que l’Allemagne recherche, la liberté politique, un développement libéral concilié avec les traditions de son histoire, l’Autriche le contrarie. C’est là le double mobile et le double résultat de la politique autrichienne au-delà du Rhin depuis 1815. Toutes les fois que l’Allemagne a voulu s’organiser, se constituer en nation plus compacte, plus unie, l’Autriche a été un obstacle, et cela s’explique : la difficulté est égale soit qu’on essaie de constituer l’Allemagne à l’exclusion de l’Autriche, comme on le voulut un instant en 1848, soit que l’Autriche tente de pénétrer dans la confédération avec toutes ses provinces, comme elle le fit dans un retour de -fortune en 1850. Exclure l’Autriche est une impossibilité, ce serait mettre huit millions d’Allemands hors de l’Allemagne ; la laisser entrer avec toutes ses forces dans la sphère du corps germanique deviendrait un redoutable danger, ce serait livrer l’Allemagne à une puissance dont le nerf principal n’est pas allemand, qui serait plutôt slave. Et c’est ainsi que le peuple germanique retombe périodiquement du haut de ses tentatives d’organisation dans un état où