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lui avait donné rendez-vous, elle laissa sa cousine aller travailler seule dans une habitation écartée, située dans une coiane au milieu des bois. Frix, qui en braconnant rôdait partout, sut où allait Margaride, laissa Marioutete se morfondre au rendez-vous et attendit l’autre dans une châtaigneraie en pleines feuilles alors, car on était au mois de septembre. On peut juger quelle fut la joie de la jeune fille en apercevant Frix : elle lui dit d’abord qu’elle avait eu bien peur qu’il crût à son mariage avec Angoulin, mais que, s’il l’aimait, il n’avait rien à craindre. Quand même Angoulin serait plus riche que le roi, elle ne le voudrait pas ; quand même, au lieu d’être laid, avare et méchant, il serait beau, brave et généreux, elle le refuserait encore. Elle se plaignit d’être bien malheureuse chez Jean Cassagne à cause de la méchanceté de Marioutete. Elle supplia Frix de la tirer de cet enfer et de la demander au métayer. Lorsque Angoulin la verrait mariée avec Frix, peut-être se déciderait-il à revenir à Marioutete, et ils seraient tous heureux. Frix consentit à ce que demandait Margaride, et alors commença une véritable conversation d’amoureux. Ils bâtirent des châteaux en Espagne. Il restait à Frix cinq cents francs, il allait acheter une maison et se remettre à son état de tisserand, car elle ne voulait pas qu’il continuât à paraître dans les courses. Il serait obligé de la quitter trop souvent, et elle ne vivrait pas, craignant toujours qu’on ne le lui rapportât blessé ou mort. Frix, qui n’était pas un méchant garçon, avait le cœur pris par cette candeur dévouée et expansive. Il avait oublié ses anciens tours de Lovelace, et s’abandonnait aux rêves de bonheur que faisait tout haut la pauvre Cicoulane, lorsque les branches de châtaigniers s’écartèrent, et la Torte parut devant eux en poussant un éclat de rire furieux.

— C’est bien ! dit-elle à Frix ; voilà pourquoi tu m’avais donné rendez-vous à la grande fontaine ! Quant à toi, misérable, continua-t-elle en se tournant vers Margaride, je savais bien que je te connaissais ! Tu épouses le vieux et tu fais l’amour avec le jeune ! Il faut vraiment que tu les aies tous ensorcelés ; mais je me charge d’arranger ta face blême de poupée de façon à ce que le diable lui-même ne puisse la raccommoder !

Margaride se serra auprès de Frix, qui se mit à rire. — Allons, Marioutete, dit-il, pas tant de bruit ; tu réveillerais les merles ! Je ne suis plus ton galant ; tu m’as laissé pour Angoulin, et elle a laissé Angoulin pour moi : c’est elle que je dois aimer. Nous voulons refaire ton mariage avec le vieux sac d’écus, et de ce pas je m’en vais demander à ton père de me laisser épouser Margaride. Tu vois qu’il n’y a pas de quoi tant crier.

Marioutete, que ce raisonnement ne calma pas, voulut continuer