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Par leurs alliances, ils tiennent aux plus grandes et aux plus vieilles maisons royales, aux maisons de France, d’Espagne, d’Angleterre, d’Autriche ; par la position de leurs états, ils sont des premiers dans toutes les querelles de l’Europe. La neutralité ne leur est point bonne ; un seul, le duc Charles III, voulut rester neutre au XVIe siècle, et le Piémont faillit disparaître dans une tempête de fer et de feu, serré entre François Ier et Charles-Quint. Pour ces petits souverains, l’ennemi c’est celui qui a un pied chez eux ou qui menace de devenir leur maître. Contre celui-là, ils s’allieraient au Grand-Turc et même à l’Autriche. Ils n’ont rien d’idéal et de bien chevaleresque, ces soldats intrépides et ces souples diplomates, et cependant il passe sur leur visage je ne sais quel reflet qui attire, car ils ont après tout une pensée juste et virile, celle de secouer tous les liens de vassalité ! Ils ont l’âme patriotique et la fibre italienne. Les ambassadeurs vénitiens peignaient Emmanuel-Philibert comme un prince tout nerf, ayant dans les mouvemens du corps « une grâce au-dessus de l’humanité, » parlant peu et agissant beaucoup, négociant toujours debout ou en marchant. Charles III avait perdu le Piémont par sa neutralité, Emmanuel-Philibert le reconquit en nous infligeant avec les Espagnols le désastre de Saint-Quentin. Après lui, Charles-Emmanuel Ier fait pendant vingt ans la guerre et poursuit un agrandissement qui fuit toujours, que le plan fameux d’Henri IV faillit lui donner en le faisant roi de Lombardie. On lui attribue un sonnet plein du sentiment italien : « Italie, ah ! ne crains pas !… Celui qui désire te soustraire à un lourd fardeau, contre toi ne conspire pas. Prends courage et espère ! » A la fin du XVIIe siècle survient Victor-Amédée II, qui rassemble tous les traits de la race. Après Emmanuel-Philibert, c’est le second fondateur de la vraie politique piémontaise. C’est justement cette politique que M. Carutti décrit dans une de ses phases décisives et qu’il montre à l’œuvre. Deux fois en peu d’années le Piémont est appelé au combat, d’abord dans la guerre qui conduit à la paix de Ryswick, puis dans la guerre de la succession d’Espagne, et deux fois il sort de la lutte fortifié. C’est le moment où le duché de Savoie devient une royauté ; le Piémont secoue définitivement la tutelle de la France, se tourne plus que jamais vers la Lombardie, et cette époque se personnifie dans un prince singulier et résolu, vrai prince de Savoie, dont la carrière aventureuse se mêle à toutes les affaires de l’Europe pour finir comme un roman.


I

Cette seconde moitié du XVIIe siècle, où le Piémont a un rôle que je veux dire, est un moment dramatique de l’histoire. C’est l’ère