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et redeviennent familiers, Suse, Vercelli, Ivrée, Valenza, Casale, Asti, toutes ces villes ont été prises et reprises. Turin a été assiégé, Verrue, qui n’est plus rien aujourd’hui, a subi deux sièges et deux assauts. Allez plus loin, en Lombardie : chaque bourgade, chaque colline a vu un combat entre toutes ces lignes de défense où est allée se jouer la stratégie des hommes de guerre de tous les temps. Et dans ces mêlées qui se succèdent de siècle en siècle, de quoi s’agit-il ? Ce sont toujours les mêmes problèmes : antagonismes européens, luttes d’influences rivales, travail d’indépendance de l’Italie. Le maître du Milanais, qu’il s’appelle l’Espagnol ou l’Autrichien, veut s’étendre et régner par la force ou par la ruse dans le reste de la péninsule. La France, se sentant menacée, descend des Alpes pour battre en brèche cette domination usurpée, et allant souvent au-delà de ses intérêts, elle procède elle-même par la conquête ou par l’occupation de forteresses, — avant-postes de sa politique et de ses armées.

De son côté, le Piémont pressé, assailli de toutes parts, se défend comme il peut, gardant sa personnalité dans les plus grandes confusions, poursuivant l’accomplissement de ses desseins au milieu des querellés européennes et cherchant sans cesse à dégager son indépendance du sein de ces formidables rivalités entre lesquelles il flotte en allié avisé et toujours prompt aux évolutions. C’est la clé de presque toute l’histoire, des luttes de l’Autriche et de la France aussi bien que de la politique piémontaise. Ce rôle intermédiaire, actif et efficace d’un petit pays, on n’aurait pu le retracer avec certitude il y a quelques années, lorsque les souverains piémontais cachaient leurs affaires, même dans le passé, comme un secret de règne. Les archives se sont ouvertes, et le jour s’est fait sur cette politique d’affranchissement progressif. C’est une des époques les plus curieuses de cette existence du Piémont, — la fin du XVIIe siècle et le commencement du dernier siècle, — que M. Carutti décrit dans un récit substantiel, précis et coloré, du Règne de Victor-Amédée II, et que le comte Giuseppe Greppi éclaire de toutes les lumières des documens du temps dans une courte et instructive étude. Ce n’est qu’une page d’histoire,’mais Cette page, retracée par M. Carutti avec la netteté élégante et ferme des vieux historiens italiens, montre comment le présent naît du passé, et en même temps elle ravive la figure de ces princes de Savoie dont le dernier héritier ne fait après tout que continuer la tradition.

Physionomie originale et curieuse par elle-même d’ailleurs que celle de ces princes que le cardinal d’Ossat appelait assez brutalement les louveteaux de Savoie ! On les voit se démener au milieu des ’ événemens, batailleurs comme des héros d’Homère, sérieux comme des taciturnes, jouant de l’épée et négociant secrètement.