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Il est en effet de ces peuples qui semblent faits par l’action et pour l’action. Petits par l’apparence territoriale et par l’importance politique, ils sont hardis, fermes de cœur, vigoureusement trempés, et c’est justement parce qu’ils sont petits avec une âme hardie qu’ils aspirent à grandir. Ils se sentent faits pour une position que l’arrangement des choses ne leur donne pas et qu’ils poursuivent à travers tout avec une ténacité invariable, sans redouter les conflits où la légalité des situations est au bout de l’épée. Lorsque Frédéric Il voulait et prenait la Silésie, il n’était pas, je pense, préoccupé outre mesure du droit public et du trouble qu’il allait jeter dans l’équilibre des pouvoirs ; il voyait l’Europe incertaine, l’occasion favorable, il avait un fier sentiment de la grandeur et de l’avenir de la Prusse, et la Prusse, qui n’était qu’un électorat au commencement du dernier siècle, qui ne comptait qu’un peu plus de deux millions d’hommes, la Prusse est devenue cette monarchie mal liée encore et inachevée, mais vivace, qui personnifie l’Allemagne protestante. Le Piémont est aussi depuis longtemps un de ces peuples toujours en marche et en voie de formation. Il a été souvent mené au combat par des princes belliqueux ; vaincu quelquefois, jamais découragé, et ne cessant de s’avancer vers son but, il a fini par être l’expression vivante, virile et armée de tous les sentimens de nationalité italienne. Ces deux pays, le Piémont et la Prusse, ont grandi par la politique et par la guerre ; ils sont devenus presque simultanément des royaumes, — la Prusse quelques années à peine avant le Piémont. L’un et l’autre ont rencontré le même obstacle, l’Autriche faisant front en Allemagne et en Italie. Le Piémont se trouve encore aujourd’hui en face de l’inévitable adversaire. À l’issue des événemens qui se succèdent depuis trois siècles et qui s’engendrent en quelque sorte, il a l’Autriche devant lui, la France à ses côtés, et sur les plis de ce drapeau aux trois couleurs où brille la croix de Savoie, est écrit ce mot d’indépendance de l’Italie qui a ouvert comme une fanfare joyeuse tant de guerres sanglantes.

Rien n’est nouveau dans les spectacles du monde, rien si ce n’est la surprise des hommes en présence de ces jeux de la fortune qui semblent toujours imprévus, et qui ne sont cependant que l’expression la plus simple d’une lutte héréditaire, d’un ensemble de choses traditionnel. Quand les armées de l’Autriche, de la France et du Piémont se pressent au-delà des Alpes, ce n’est, point assurément le champ de bataille qui est nouveau : vingt fois cette contrée du nord de l’Italie a été submergée sous le flux et le reflux des invasions contraires ; elle a eu le fatal privilège d’être le champ clos des, duels européens. Il n’y a pas une place de terre, qui n’ait été disputée par les armes et foulée sous les pieds des chevaux. Parcourez le Piémont : toutes ces villes dont les noms retentissent de nouveau