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— Tu ne te mettras pas dans l’embarras pour eux au moins! observa la fermière.

— Je n’ai pas besoin de me mettre dans l’embarras pour assurer leur avenir, répliqua Pietro. Paolo a sa part de notre héritage, et quant à Rachel, il est juste que nous fassions pour elle ce que nous faisons pour chacune de mes sœurs.

Mme Stella ne voyait pas la nécessité de faire une dot à sa nièce ; mais Pietro était le maître, et sa résolution paraissait irrévocable. Aussi ne fit-elle aucune opposition, et même elle consentit à ce que Pietro parlât le premier à Rachel. Dès le lendemain, l’explication projetée eut lieu sans que Rachel pût compter s’y soustraire par quelque interruption fortuite, car Mme Stella, qui faisait bonne garde devant la chambre du malade, éconduisait tous les importuns. Pietro, avec une loyale franchise, ne laissa ignorer à Rachel aucune des paroles échangées la veille entre lui et sa mère : il ne lui cacha point non plus le mécontentement de celle-ci et son désir d’amener la jeune fille à des aveux formels sur ses intentions vis-à-vis des deux frères. — Je n’avais pas le droit, ajouta Pietro, d’empêcher ma mère d’agir comme elle le juge convenable; mais j’ai voulu vous prévenir d’abord, afin que vous ne me soupçonniez pas de l’avoir envoyée vers vous. Vous ne devez point ignorer d’ailleurs que ma mère elle-même est décidée, dans le cas où vous n’écouteriez pas ses prières, à tout mettre en œuvre pour vous réunir à Paolo.

— Mais comment cela serait-il possible? demanda Rachel, qui, à vrai dire, n’envisageait que ce côté de la question.

— Cela est moins difficile que vous ne le pensez. Paolo a droit à une part dans l’héritage de notre père, qui a pris soin d’assurer une existence modeste, mais convenable, à chacun de ses enfans. Son intention était aussi, dans le cas où son projet de mariage entre nous rencontrerait des obstacles, de vous faire une dot égale à celle dont il a disposé pour chacune de ses filles. La seule difficulté est de faire parvenir cet argent à mon frère, qui a perdu, comme émigré, tous ses droits; mais je consulterai un avocat, et j’espère que, par votre entremise, tout s’arrangera aisément. Voilà ce que j’avais à vous dire. Ma mère ne tardera pas à vous parler elle-même. Écoutez-la avec douceur et respect, et si quelque chose vous blesse ou vous déplaît dans ses observations, souvenez-vous que c’est par amour pour moi qu’elle parle...

Pourquoi, en quittant Pietro, Rachel était-elle prête à fondre en larmes? Pourquoi, à la reconnaissance que lui causait tant de générosité, se mêlait-il un vague sentiment de dépit? Jugeait-elle que Pietro se consolait trop aisément d’une perte aussi irréparable? La vanité de Rachel n’avait pourtant rien d’excessif, et un mauvais cœur eût seul regretté les tourmens qu’il n’infli-