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son bâton, tout en ayant soin de ne pas blesser ses adversaires, car il savait de quel prix un agent de la force légale eût fait payer à sa famille et à lui-même la moindre égratignure. — Du courage, mon frère! cria Cesare. Tiens bon quelques instans encore, et nous sommes avec toi! — Les voix se rapprochaient de plus en plus. — Retirez-vous, dit alors Pietro, qui redoutait maintenant de remporter une victoire compromettante; retirez-vous avant qu’il ne vous arrive malheur! — Les Autrichiens firent au même instant quelques pas en arrière, et Pietro, les voyant prêts à fuir, ne songea plus qu’à s’éloigner lui-même. Déjà il se dirigeait vers ses frères, lorsqu’un des soldats de police, revenu sur ses pas, visa le jeune homme et fit feu, Pietro tomba à la renverse sans pousser un cri. Un éclat de rire salua sa chute, et l’Autrichien s’enfuit en plaisantant avec son camarade sur ce brave paysan auquel il avait épargné la potence.

Le blessé fut rapporté à la ferme sans connaissance. La balle s’était logée entre les deux épaules, et il fallut l’extraire. Même après que l’opération fut heureusement terminée, il fut impossible de rien affirmer sur les suites de la blessure. La balle avait-elle touché les parties vitales? La plaie se fermerait-elle? N’y aurait-il ni hémorrhagie, ni gangrène? A toutes ces questions, que Rachel adressait au chirurgien venu tout exprès de Milan pour extraire la balle, celui-ci répondait d’un air capable : — Je ne puis rien dire de certain. Tout dépendra des jours qui vont suivre, et surtout de la constitution du malade. Espérons toutefois. Le patient est jeune, et si la balle n’était ni mâchée, ni empoisonnée, il peut en réchapper.

Pietro se rétablit; mais sa convalescence fut longue et douloureuse. Jamais néanmoins, durant les différentes périodes de la crise, jamais une expression d’impatience, de fatigue ou de découragement ne sortit de ses lèvres. Il ne semblait préoccupé que du soin d’épargner à ceux qui l’entouraient des inquiétudes et des ennuis. Sa blessure était de beaucoup plus grave et ses souffrances incomparablement plus grandes que la blessure et les souffrances de Paolino; mais il eût été impossible de le deviner, et Rachel ne put s’empêcher de comparer la sérénité courageuse de Pietro à l’irascibilité maladive de son frère. Cette sérénité n’avait plus rien à ses yeux de ce caractère pacifique qui lui avait causé des mouvemens de puérile impatience. Elle se souvenait de l’élan avec lequel le jeune paysan était accouru à son secours. — Il était bien beau, se disait-elle, lorsqu’il s’avançait contre les ravisseurs en brandissant son bâton de berger; mais son visage avait une expression terrible! Jamais je ne l’avais vu ainsi! Et moi qui le croyais inaccessible à la colère et à toutes les passions violentes! Celui qui oserait l’offenser devrait être en vérité ou bien courageux ou bien étourdi.

A partir de cette époque, Rachel éprouva, en parlant à Pietro et