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sion nouvelle n’était qu’une répétition de la première. Les jeunes gens et les jeunes filles obéissaient à leur frère et à leur cousin comme ils avaient obéi à leur père et à leur oncle, et les serviteurs suivaient l’exemple de leurs jeunes maîtres. La fermière seule avait subi une transformation complète. Les derniers mots prononcés par la voix chérie qui avait cessé de se faire entendre lui avaient ouvert comme une existence nouvelle qu’ils la forçaient d’accepter. — Soyez pour votre mère ce que vous avez été pour moi, — avait dit le fermier à ses fils. C’était dire à Mme Stella : Tu auras désormais une volonté, et tu l’imposeras à toutes ces jeunes créatures que tu dois gouverner. Mme Stella le comprit, et, tout en tremblant devant la grandeur de sa tâche, elle résolut de l’accomplir aussi bien que ses forces le lui permettraient. Elle pria beaucoup; elle invoqua le secours de celui dont la nature est de secourir, et elle se sentit merveilleusement secourue. Elle entra donc dans sa nouvelle carrière avec une grande défiance d’elle-même, mais avec une entière confiance dans le divin appui, et la veuve, résignée, active et ferme, ne conserva presque aucun trait de ressemblance avec la femme timide que nous avons connue jusqu’ici. Toutes les affaires de la ferme passaient par ses mains. Elle étudia les livres de son mari, et elle parvint en peu de temps à en tenir de semblables : elle connut le prix des denrées, elle se rappela les maximes d’économie domestique, les règles d’agriculture débitées en diverses circonstances par le missée, et elle les appliqua de manière à en tirer le meilleur fruit possible. Elle devint en peu de temps non-seulement une habile ménagère, mais une si admirable directrice d’un grand établissement d’agriculture, que ses fils suivaient ses instructions avec un sentiment de vénération filiale que jamais le vieux Stella lui-même n’avait su leur inspirer.

— Mon oncle connaissait bien sa femme, disait un jour Rachel à ses cousins et à ses cousines rassemblés autour du grand âtre de la cuisine. Il savait que c’était par amour pour lui qu’elle se tenait dans l’ombre, mais il ne doutait pas qu’une fois livrée à elle-même, elle ne devînt ce que nous la voyons...

— C’est le malheur qui a transformé notre mère, observa Pietro. Qui peut se vanter d’avoir appris quelque chose sans avoir passé par cette rude école? Tant que notre mère a été heureuse, elle n’était que douce et bonne; maintenant qu’elle a été frappée, elle est devenue la femme forte.

— Et il a donc fallu le malheur pour vous révéler ce qu’elle valait! reprit Rachel avec une étrange exaltation. Vous autres hommes, vous trouvez naturel et juste qu’une femme capable de vous égaler, de vous surpasser même, se fasse volontairement votre esclave, votre instrument, votre ombre, pour vous laisser jouir en paix,