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mourans. Rachel elle-même ne se dispensa point de ce dernier devoir. Dès que les prières commencèrent, la porte par laquelle elle était sortie s’entr’ouvrit, et la jeune fille s’agenouilla éplorée sur le seuil, joignant sa voix à celle de ses parens. Pietro seul la remarqua; il se tenait tout près de son père et donnait les répons tout en humectant les lèvres et le front du mourant avec les tisanes prescrites. Les prières continuaient encore que déjà le vieux Stella n’en avait plus besoin; il avait rendu à Dieu son âme loyale, sans secousses ni déchiremens, comme si les pieuses oraisons de la famille avaient réussi à écarter de lui les dernières angoisses.

Le clergé des paroisses environnantes accourut aux funérailles du riche fermier. Le catafalque immense, le riche tapis en velours noir parsemé de larmes d’argent qui le couvrait, la funèbre tenture de l’église, la grande quantité des cierges, la belle ordonnance du repas qui suivit la cérémonie, firent grand honneur à la famille et à la mémoire du défunt. — On ne pouvait faire moins pour un aussi excellent homme, dirent les gens d’église. La famille s’est bien conduite et a fait son devoir, ce qui n’arrive pas tous les jours. — Les aumônes ne furent pas oubliées; sur ce point toutefois, le clergé ne se montra pas complètement satisfait. On comprend d’ordinaire en Lombardie sous le nom d’aumônes les dons offerts à l’église dans la personne de ses desservans. La famille Stella se garda bien de faire la moindre objection à ce sens un peu élargi du mot aumônes, et elle présenta, comme le veut la coutume, une généreuse offrande à l’église. Seulement elle se permit en outre de distribuer directement à chacun des pauvres qui se présentèrent pendant une semaine, à partir du jour des funérailles, une soupe et la modique somme de deux sous. Or cela composait à la fin de la semaine un total assez considérable, et qu’on eut pu employer plus sagement à la restauration du maître-autel de la paroisse ou à l’achat de quelques images de saints pour rehausser l’éclat des grandes fêtes. L’étrange infraction à la règle commune dont la famille Stella s’était rendue coupable en cette circonstance fut attribuée à l’influence mystérieuse des doctrines républicaines qui avaient pénétré dans la ferme. On se garda bien cependant d’exprimer trop haut cette opinion, car il eût été plus qu’imprudent de chercher querelle à des gens riches et remplis en somme des meilleures intentions.


VI.

Celui qui eut visité la ferme un mois après la mort du vieux missée n’y eut remarqué aucun changement. L’impulsion donnée par le vieillard aux travaux des champs et aux habitudes de la famille durait encore, et devait se prolonger indéfiniment, puisque l’impul-