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braves gens, qui cultivez mes terres depuis je ne sais combien de générations, et vous avez toujours été des modèles d’exactitude et de probité. Mes terres sont en de bonnes mains, je le sais; mais, croyez-moi, ne vous mêlez pas de politique... Que vous importe ce qu’on appelle les droits des peuples, les nationalités et toutes ces billevesées d’outre-monts? Vous vous mettez dans l’embarras et vous compromettez vos supérieurs. Votre affaire, c’est l’agriculture et le commerce; faites votre affaire et n’en sortez pas. C’est en ami que je vous parle...

La famille Stella remercia encore, et promit de suivre les leçons du comte. La liberté leur ayant été rendue en même temps que la vie, Pietro et ses frères se hâtèrent de sortir de l’affreuse prison et d’emmener leur père. L’un d’eux alla se procurer une voiture, où l’on fit monter le vieillard, qui n’avait pas encore recouvré la parole. M. Stella semblait tombé en enfance; il se laissait conduire passivement par ses fils, auxquels il ne répondait que par des signes brefs et approbatifs. Enfin, et malgré leur répugnance à ramener à leur mère un mari si différent de celui qui l’avait quittée la veille, ils se décidèrent à reprendre le chemin de la ferme. Ce fut une heureuse résolution, car la stupeur du pauvre homme parut se dissiper à mesure qu’il revoyait ces lieux si connus, et qu’il approchait de son foyer chéri. Lorsqu’il entra dans la cuisine, où Mme Stella, ignorant tout ce qui s’était passé depuis deux jours, prêtait l’oreille aux paroles d’espoir et de consolation que ses filles et ses nièces multipliaient à l’envi; lorsque, dis-je, M. Stella parut devant sa femme, celle-ci fut un moment sans le reconnaître; puis, la triste vérité se révélant d’une façon soudaine, elle se jeta au cou de son mari en s’écriant : — mon Dieu ! que vous ont-ils fait?

— Ils m’ont presque fait mourir, dit enfin le vieillard, à qui la vue de sa femme et de sa famille réunie avait rendu la parole, et sans notre maître, tu ne serais plus à cette heure qu’une pauvre veuve sans enfans.

— Ma mère, dit alors Pietro à voix basse, mon père a beaucoup souffert ; ne le fatiguez pas de questions qui lui rappelleraient ce qu’il serait bon de lui laisser oublier. Nous ne courons plus aucun danger.

Le conseil de Pietro fut suivi à la lettre et eut d’heureux résultats. M. Stella, qu’on se garda bien de questionner sur sa dernière absence, put un moment du moins se dérober aux tristes souvenirs qui l’oppressaient. Il passa une nuit tranquille; dès le lendemain matin, à l’heure ordinaire, il se remit à ses travaux, et ainsi de même pendant plusieurs jours. Lorsque ses enfans lui demandaient comment il se trouvait, il répondait : bien; mais il était plus silencieux que de coutume, son visage avait conservé l’expression de