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jour où la casquette avait été abandonnée par Paolo avant son départ pour le Tyrol.

Après un long et fastidieux examen, qui dura jusqu’au point du jour, le chef des sbires déclara qu’à son grand regret il se voyait contraint d’emmener les deux fils du signer Stella, afin de les soumettre à un interrogatoire direct de leurs excellences le directeur de la police et le commandant militaire. Quelques-uns de ses gens resteraient cependant à la ferme pour y attendre le retour de M. Stella et le conduire aussitôt devant les mêmes excellences. Cette annonce plongea la famille tout entière dans la consternation. Mme Stella voyait déjà ses trois fils et son mari pendus au même gibet, et le sort des deux proscrits lui semblait digne d’envie. La pauvre femme ne trouva pas une parole pour supplier l’impitoyable sbire. Une profonde stupeur s’était emparée d’elle. Elle promena ses yeux hagards sur tous ceux qui l’entouraient, puis, jetant son tablier sur sa figure, elle se laissa tomber sur une chaise, tourna son visage contre la muraille, et, joignant les mains, elle demeura immobile, anéantie, étrangère à tout ce qui se passait. Profitant de cet intervalle pendant lequel la nature épuisée semblait se refuser à la souffrance, Pietro résolut de s’éloigner sans bruit avec son frère. Recommandant à la hâte à ses sœurs et à Rachel sa pauvre mère, il sortit avec M. Lamberti, et lui proposa de faire quelques pas à pied jusqu’à ce que la voiture qu’on était en train d’atteler les rejoignît sur la route. M. Lamberti n’était pas fâché d’abréger les scènes touchantes auxquelles il ne pouvait assister qu’en témoin des plus blasés; il agréa donc la proposition. Quelques momens après, le roulement d’une voiture et un cliquetis de sabres et d’éperons annonçaient le départ de l’escouade qui emmenait Pietro et Cesare à Milan.

Jacopo, un des vieux serviteurs réellement dévoués au fermier, était resté auprès de sa maîtresse, et Rachel lui demanda à voix basse s’il était possible d’avertir M. Stella de ce qui s’était passé avant son retour à la ferme. — Je crois que j’en trouverai le moyen, répondit Jacopo; mais je ne connais pas mon vieux maître, ou cette nouvelle n’aura d’autre effet que de hâter son retour. — Un jeune enfant fut choisi pour la périlleuse mission que Jacopo ne pouvait remplir lui-même. Sous prétexte de poursuivre un troupeau d’oies qui se dirigeait vers un champ de luzerne, il trompa la surveillance des soldats, et se lança à toutes jambes dans la direction de Vigevano. Il rencontra le fermier avec Orazio à une demi-lieue de la ferme, sur la route de Pavie, et lui raconta ce qui s’était passé; mais Jacopo avait bien jugé son vieux maître. A peine l’enfant eut-il achevé son récit que M. Stella lui enjoignit d’aller droit au village le plus voisin et de ne pas reparaître aux Huit-Tours tant que les