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tadelle que commandait M. de G… fut attaquée et brûlée par les Russes. C’était sans doute en 1799, lors de l’expédition de Souvarof, et avant que Masséna eût écrasé l’armée russe dans cette série de batailles qu’on appelle d’un seul nom : la bataille de Zurich. Au moment où le feu prenait à la citadelle, la marquise, cherchant un refuge avec ses enfans dans les salles basses de la forteresse, est rencontrée par cinq ou six soldats russes, ivres de poudre et de, sang, qui se précipitent sur la jeune femme, l’entraînent dans une salle écartée du château, et se disposent à lui faire subir les plus odieux traitemens. Par bonheur arrive tout à coup un jeune officier russe qui disperse ces lâches coquins en leur fouettant le visage de son épée ; la marquise, à demi morte, remercie son libérateur et s’évanouit. Quelques jours après, le jeune comte, comblé des bénédictions de la famille du colonel, va rejoindre l’armée, et l’on apprend qu’il est mort dans une bataille. Il était tombé, disait-on, frappé d’une balle au cœur, et s’était écrié en mourant : « Juliette ! Juliette ! voilà une balle qui te venge ! » La marquise fut vivement affectée de cette mort ; elle plaignait le loyal jeune homme à qui elle devait son salut, elle plaignait aussi cette personne inconnue, son homonyme (la marquise s’appelait Juliette), à qui le mourant avait envoyé ce dernier et touchant adieu. Au bout de quelques semaines, le comte reparaît : celui qu’on avait cru mort n’était que blessé. Une fois rétabli de cette violente secousse, il s’est empressé de se rendre chez le colonel de G…, et là il demande la main de la marquise d’O… avec cette impatience particulière, dit-on, aux passions de l’aristocratie moscovite et qui rappelle ce mot de Mme de Staël : « Un désir russe ferait sauter une ville. » Malgré sa reconnaissance pour le jeune officier, la marquise oppose à ses supplications une résistance inflexible ; elle s’est promis de demeurer fidèle au souvenir de son mari. Désespéré, le jeune homme s’éloigne, et bientôt après la marquise commence à éprouver un malaise inexplicable. Tous les symptômes d’une grossesse deviennent chaque jour plus marqués chez la jeune veuve ; elle refuse d’y croire, on le pense bien, et chasse comme un insulteur le médecin qui persiste à lui révéler son état. Plus de doute cependant ; elle est forcée de reconnaître qu’elle a dû être victime d’un attentat odieux. Le père, irrité, repousse une si étrange excuse, et chasse de sa maison la fille qui le déshonore ; sa mère elle-même la croit coupable.. : C’est alors que la vaillante femme fait insérer dans les journaux l’annonce extraordinaire dont nous parlions tout à l’heure. L’annonce produit son effet, le comte se déclare, c’est lui qui a commis le crime, c’est lui qui a honteusement abusé de l’évanouissement de la jeune femme, au moment même où il venait de l’arracher à la brutalité de ses soldats. Cette Juliette à qui il demandait pardon sur le champ de ba-