Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne lui en laissa pas le temps. Necker fut plus heureux ; le 12 juillet 1778, un arrêt du conseil, provoqué par ce ministre, créait à titre d’essai une assemblée provinciale dans le Berri, l’une des provinces les plus pauvres de France. Cette expérience ayant réussi au-delà de toute espérance, l’édit général de création des assemblées provinciales fut rendu en 1787. Les parlemens n’accueillirent cette innovation comme toutes les autres qu’avec une extrême répugnance, plusieurs refusèrent de l’enregistrer ; mais l’édit n’en fut pas moins exécuté dans une grande partie de la France : vingt-quatre de ces assemblées furent établies, et les hommes les plus éminens de chaque province tinrent à honneur d’en faire partie. Le duc de La Rochefoucauld était président de celle de Saintonge, le duc de Liancourt de celle de Clermont en Beauvoisis, Lavoisier de celle d’Orléans, et il a fait en cette qualité plusieurs travaux importans, entre autres un grand projet de canal de dessèchement pour la Sologne. Il serait bien à désirer que les procès-verbaux de ces assemblées fussent publiés ; quoiqu’elles n’aient précédé 1789 que de deux ans, elles ont eu le temps de tout commencer.

Les premiers membres choisis par le ministre pour former auprès de lui le comité consultatif d’agriculture furent MM. Tillet, Desmarêts, Dailly, Lefèvre, Thouin, Lavoisier, Dupont de Nemours et Broussonnet. Ce comité a fonctionné activement pendant les dernières années de la monarchie. On lui doit plusieurs mesures utiles ; il en avait surtout préparé beaucoup qui se sont perdues dans le désordre révolutionnaire. Le nom de Lavoisier suffirait au besoin pour le recommander : plus on étudie cet homme admirable, dont l’intervention se retrouve alors partout, plus on mesure la perte que la France a faite en le tuant à cinquante ans.


IV

Les derniers mois de 1788 et les premiers de 1789 ont été l’apogée de la Société d’Agriculture comme de toute chose. Les meilleurs esprits se laissaient aller à un véritable enivrement ; on rêvait un avenir indéfini de liberté, d’égalité, de paix, de travail, de richesse, de bonheur universel. « Ceux, qui n’ont pas vécu dans la société française aux approches de 1789, disait longtemps après M. de Talleyrand, ne connaissent pas le plus grand charme de la vie. »

Une seule ombre vient obscurcir ce tableau de joie et d’espérance. Les volumes des Mémoires pour 1789 sont remplis de détails sur le rigoureux hiver qui fit périr la plupart des arbres fruitiers et qui causa aux cultures des dommages considérables ; on sait que la disette qui en fut la suite a été l’occasion et le prétexte des scènes