Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vie de château anglaise. On n’y dînait qu’à deux heures et demie, au lieu de l’heure antique de midi, qui l’avait tant gêné à Bagnères-de-Luchon. On y déjeunait au thé, on y passait la matinée à chasser ou à jardiner, on y jouissait le soir d’une excellente musique, on y avait à sa disposition une bibliothèque de sept ou huit mille volumes. C’était une mode toute nouvelle dans les grandes maisons attachées à la cour que de passer ainsi quelque temps à la campagne en été. Le duc de Liancourt fit dîner son hôte avec trois fermiers des environs ; Arthur Young veilla de près sur leur attitude pendant le dîner pour voir comment ils se conduiraient en présence d’un si grand seigneur, et il remarque avec bonheur que leurs manières furent aisées et libres, sans cesser d’être respectueuses, comme auraient été en pareil cas celles de fermiers anglais.

Tout le monde connaît le grand nom de Malesherbes ; mais ce qu’on sait moins généralement, c’est qu’il avait un goût prononcé pour l’agriculture et pour les plantations. Entre ses deux ministères, de 1776 à 1787, il résida presque toujours à Malesherbes, dans le département du Loiret, peuplant ses jardins d’arbres exotiques. a Une lieue avant d’arriver au château, dit Arthur Young, commence une belle rangée d’arbres, des deux côtés de la grande route ; c’est l’ouvrage de M. de Malesherbes : elle rejoint les belles plantations de son parc, qui contient la plus grande variété d’arbres curieux. ». Cette terre était voisine de celle de Denainvilliers, où Duhamel du Monceau avait fait ses fameuses expériences. Dans les écrits de Malesherbes, on trouve des observations sur les mélèzes, un mémoire, lu en 1790 à la Société d’Agriculture, sur les moyens d’accélérer les progrès de l’économie rurale, un autre mémoire intitulé : Idées d’un agriculteur patriote sur le défrichement des terres incultes ; ce dernier a paru en 1791, dix-huit mois seulement avant le procès du roi, trois ans avant que Malesherbes lui-même montât sur l’échafaud.

Le nom de M. de Monthyon n’est pas moins connu, grâce aux prix de vertu qu’il a fondés et que décerne tous les ans l’Académie française ; il était alors conseiller d’état. Deux autres conseillers d’état s’asseyaient à côté de lui ; l’un, Dailly, nommé plus tard membre de l’assemblée constituante par le bailliage de Chaumont en Vexin, a eu l’insigne honneur d’être le premier élu président de cette assemblée en 1789 ; l’autre, Dupont de Nemours, mérite une place à part dans cette galerie ; il était l’ami et le confident de Turgot, c’est tout dire. Né en 1739, il avait commencé à écrire à vingt-trois ans sur les principales questions économiques dans le Journal de l’Agriculture, du Commerce et des Finances, publié par Quesnay et ses amis, et y avait pris part à cette grande croisade pour la liberté du commerce des grains, qui n’a pas encore tout à fait terminé son