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serviteurs reçurent ordre de ne quitter Rungepoorah sous aucun prétexte. Un charitable brahmine, qui, une ou deux fois, avait consenti gratuitement à faire pour eux le voyage de Futtehghur, fut sévèrement réprimandé par les thakoors. Ce fut néanmoins ce brahmine, nommé Seetah-Ram, qui, un beau jour (le 22 juillet), leur apporta la bonne nouvelle de la marche d’Havelock sur Cawnpore et des premières défaites de Nana-Sahib. Une partie des troupes battues à Pandoo-Nuddee avait fui, dans un complet désarroi, jusqu’à Furruckabad. Le lendemain 24, une forte canonnade retentit du côté de Futtehghur. On juge de l’émotion qu’elle causa dans le petit groupe des proscrits. Nul doute que ce ne fût là un signal de rescousse ; les Anglais vainqueurs poursuivaient leurs avantages. Hélas ! Seetah-Ram vint, quelques heures après, remplacer ces beaux rêves par une sinistre réalité. Ces détonations, saluées comme gages de délivrance, étaient celles des canons qui venaient de servir au massacre de tous les Européens restés au pouvoir du nawab, et entre autres de trois ou quatre dames faites prisonnières après l’échouage de Singheerampore. Les victimes de cette triste journée furent au nombre de soixante-cinq, mitraillées de sang-froid ou attachées à la bouche des canons[1]. Dix-huit mois seulement après ces atrocités, le monstre qui en avait assumé la responsabilité devait rendre ses comptes à la justice anglaise : l’exécution du nawab de Furruckabad était mentionnée dans un des derniers bulletins envoyés de l’Inde.

La panique, au reste, était déjà parmi les rebelles. Le jour même de cette sanglante exécution, sur le simple cri de quelques poltrons : « Voici les Européens qui arrivent ! » la ville s’était trouvée vide en quelques minutes tant de ses habitans que des cipayes réunis autour du nawab. En revanche, les proscrits s’aperçurent immédiatement d’un changement de dispositions très notable, et tout en leur faveur. Les thakoors vinrent les féliciter. Un des anciens de Kussowrah, monté sur un éléphant, leur apporta des friandises. Enfin Hurdeo-Buksh envoya son propre beau-frère pour constater leurs besoins et veiller à ce qu’ils ne manquassent de rien. « Il n’était pourtant pas bien clair, malgré ce revirement, remarque finement M. Edwards, que la défaite du nana fût absolument de leur goût. » Profitant néanmoins de ces dispositions, les deux collecteurs obtinrent de revenir à Kussowrah, ce séjour d’abord tant dédaigné, puis tant regretté. Le beau-frère de Hurdeo-Buksh leur accorda d’autant plus volontiers cette requête, que, disait-il, « les cipayes de Futtehghur, frappés de terreur, n’étaient plus à craindre. » Ce retour

  1. « … Seetah-Ram nous raconte, dit M. Edwards, que la petite-fille de M. Jones, âgée de neuf ans seulement, ayant comme par miracle échappé sans blessure à plusieurs mitraillades, un cipaye s’élança sur elle et la mit en morceaux à coups de sabre.