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recevoir les taxes et revenus que les zemindars du pays lui apportaient à jour fixe. Par suite de cette mesure si bien justifiée, au lieu de 7 à 8 lakhs de roupies sur lesquels les révoltés avaient compté, la caisse de Budaon en renfermait à peine un et demi le jour où ils purent s’en approprier le contenu, et cette déception, pour eux, criait vengeance.


III

Les malheureux fugitifs ont repris leur chevauchée, sans autre protection que celle de deux guides à pied fournis par le zemindar de Kadir-Chouk. Vers minuit, après avoir traversé plusieurs villages où leur présence n’a été saluée par aucun acte d’hostilité, ils voient tout à coup un des conducteurs s’arrêter brusquement. Du geste, il leur commande de faire halte, et, revenu près d’eux, il leur montre, cachés dans un pli de terrain ombragé de quelques arbres, une troupe d’hommes immobiles et muets. Un instant on a pu les croire livrés au sommeil ; mais, relevés soudain, ils accourent au nombre de deux ou trois cents. Nulle chance de fuite pour nos cavaliers, qui, s’ils quittaient une fois leurs guides, se trouveraient absolument perdus dans cette contrée, qu’ils parcourent pour la première fois. Il faut donc attendre de pied ferme et faire face à ce nouveau danger. Par bonheur, cette embuscade, étrangère à la révolte, n’a été placée en cet endroit que pour préserver d’un pukar quelqu’un des villages du district. Les guides répondent hardiment aux paysans que les « sahibs » dont ils dirigent la marche vont au-devant de quelques troupes envoyées de Furruckabad pour rétablir l’ordre. Cette explication trompeuse est bien accueillie. Les soldats du gouvernement sont attendus avec impatience par ces populations menacées du pillage. On se remet donc en route, on traverse le village si bien gardé. Il est plein de gens en armes, mais qui laissent passer paisiblement les voyageurs, examinés aux avant-postes. Deux heures après, M. Edwards et ses compagnons se trouvent sur une route qui conduit en droite ligne à Futtehghur. Leurs guides les quittent alors. Laissés à eux-mêmes, les voyageurs marchent tout le reste de la nuit, sans autre trêve qu’une halte de dix minutes pour abreuver leurs chevaux. Vers huit heures du matin (le 8 juin), ils arrivent devant un gros bourg pathan, appelé Kaïm-Gunge, où un vieux tehseeldar indigène les reçoit chez lui sans hésiter. Peu après cependant, la foule s’amassant autour de la teliseeldaree, ce brave homme comprend que sa protection ne suffit pas, et il conduit ses hôtes chez le nawab, c’est-à-dire le plus noble, le plus riche et le plus influent propriétaire de la petite cité.