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dans la chambre du collecteur, et lui annonçait que le cavalier envoyé la veille au-devant de la compagnie annoncée avait trouvé la route de Bareilly à Budaon couverte des prisonniers délivrés par les rebelles. Près de quatre mille scélérats se trouvaient ainsi déchaînés tout à coup sur la province. Le massacre, l’incendie arrivaient à leur suite, et d’ailleurs un détachement des cipayes insurgés s’était mis immédiatement en marche vers Budaon, où les attirait le pillage espéré des deniers publics.

M. Phillips, dix minutes après que ces nouvelles lui eurent été communiquées par son cousin, sautait en selle et partait au galop, escorté par une douzaine de cavaliers, dans la direction du Gange. Sa meilleure, son unique chance de salut était de devancer les rebelles, qui déjà inévitablement marchaient sur les passages guéables de ce fleuve, — les ghants, comme on dit dans l’Inde, — et allaient travailler à les rendre infranchissables, soit aux troupes envoyées du dehors, soit aux fugitifs cherchant à quitter le district. M. Edwards pouvait accompagner son cousin, et la prudence la plus vulgaire lui conseillait hautement de s’éloigner de Budaon avec M. Phillips. Le sentiment rigoureux du devoir lui enjoignait au contraire de demeurer à son poste. « Aussi longtemps que le navire était à flot, je m’estimais obligé d’y rester cloué, » dit-il lui-même, et cette métaphore de marin exprime mieux que toute autre les idées d’abnégation puisées par la race anglaise à la rude école de l’Océan. Quelle espérance pourtant pouvait-il raisonnablement concevoir ? « J’étais encore à même, répond-il, de préserver la ville du pillage en empêchant les convicts fugitifs d’y pénétrer avant l’arrivée des cipayes mutinés. » C’était là effectivement tout ce qu’il avait à se promettre, et pour le maintien de cette sécurité provisoire il n’hésita point à risquer sa vie.

Cependant quelques Européens, — rares épaves de la grande tempête indienne, — venaient d’instinct se grouper autour de l’unique représentant de l’autorité officielle : deux planteurs d’indigo, MM. Donald père et fils ; un employé des douanes, M. Gibson ; un commis d’administration avec sa famille, M. Stewart, chaque nouveau-venu apportant son contingent de terreur, son contingent d’embarras, et le danger devenant plus terrible à mesure que grossissait la petite famille européenne, poursuivie de plus de haines, offrant plus de prises à la cupidité. Ces haines dont nous parlons, M. Edwards les signale lui-même. « Seul, dit-il, j’aurais trouvé dans le district bon nombre d’amis et de protecteurs ; mais ils ne voulaient pas se compromettre pour d’autres que moi, et d’autant moins que quelques-uns des compatriotes ainsi réunis étaient en hostilité réglée avec les gens du pays pour s’être rendus acquéreurs