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forcée rappellent ces bustes de bergères qui ornent les chaumières de théâtre construites dans les jardins du Petit-Trianon ?

Rien de théâtral au contraire, rien que de simple et de vrai, comme expression et comme style, dans le portrait que M. Oliva nous a donné du général Bizot. M. Oliva est aussi l’auteur d’un très bon buste en bronze du père Zibermann et d’un buste en marbre de M. de Mercey, ouvrage finement modelé, mais dans lequel la délicatesse du travail dégénère quelquefois en exagération d’adresse et en ruse d’outil. Il faut laisser à la sculpture les moyens d’imitation qui lui appartiennent, la mesure de vérité qu’elle comporte ; il ne faut pas détailler par exemple les poils de la barbe, comme l’a fait M. Oliva, en perforant le marbre de part en part, parce que, sous prétexte d’ajouter à l’expression de la réalité, on n’arrivera ainsi qu’à en appauvrir le simulacre, et que d’ailleurs, quoi qu’on fasse, il y aura toujours en matière d’art une part laissée au mensonge et à la convention. Une vérité matérielle absolue dans telle partie, au lieu de confirmer la vraisemblance du reste, ne pourra au contraire que compromettre cette vraisemblance, et mettre d’autant mieux en lumière l’apparence forcément incomplète, le caractère nécessairement, abstrait de telle autre partie. Aussi ne voyons : nous pas sans regret que l’usage se généralise non-seulement de colorier certains détails, mais encore de substituer dans certains cas la réalité même au travail du ciseau, l’objet qu’il s’agissait de représenter à l’image de cet objet. Plusieurs bustes de femmes exposés au Salon et ornés soit de véritables camées incrustés dans la coiffure, soit de boucles d’oreilles fabriquées par le joaillier, témoignent sur ce point de préoccupations assez peu conformes à la dignité de l’art et aux exigences d’un goût sévère. Je sais qu’on peut invoquer à l’appui de pareilles tentatives quelques exemples de l’antiquité : sont-ce toutefois ceux-là qu’il importe de préférer et de suivre ? Et puis où s’arrêter dans cette voie ? Pourquoi les bijoux d’ornement auraient-ils seuls le privilège d’être associés à la sculpture ? pourquoi ne pas mettre sur la poitrine d’un officier les plaques mêmes des ordres qui lui ont été conférés, ou ne pas suspendre à son côté l’épée qu’il portait sur les champs de bataille ? En s’abandonnant ainsi à la fantaisie, on arriverait bientôt à la négation de l’art, à la contrefaçon barbare ; en prétendant animer un portrait, on ne ferait qu’exagérer la vie des accessoires, et, en vertu du contraste même, immobiliser la physionomie et la forme humaines. Veut-on apprécier par un exemple l’expression d’inertie cadavérique à laquelle peut aboutir dans une œuvre de sculpture le mélange des élémens réels et des procédés d’imitation : que l’on examine au palais de Versailles le portrait en cire de Louis XIV