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pareil effet et dans l’habileté peu commune avec laquelle il a été rendu. Malgré la simplicité de l’ordonnance et du ton général, une véritable élégance linéaire, une sorte d’harmonie épurée dans le coloris, donnent une valeur toute spéciale à ce tableau comme à la toile, représentant aussi des Landes, qui lui sert de pendant. — Un grand paysage, les Bords du Tibre dans la Sabine, révèle chez M. Berthoud un sentiment assez large de l’effet, quelques bonnes intentions de style, d’ailleurs un peu trahies ça et là par l’insuffisance du dessin. Plusieurs toiles signées des noms de MM. Deshayes, Desjobert, Lavieille, expriment une observation approfondie de la nature, une science sans pédantisme, mais non sans force. D’autres, comme l’Etang de la forêt du Mans, peint par M. Allongé, attestent le goût et la recherche de la vérité, une aptitude particulière à en étudier certains côtés, dédaignés ou inaperçus jusqu’ici ; d’autres enfin, et le Viatique en Bretagne de M. Baudit est du nombre, introduisent un élément nouveau, qu’on pourrait appeler le dramatique familier, dans la peinture de paysage. Quelles que soient cependant les qualités propres à chacun de ces tableaux, elles n’ont pas, à notre avis, le caractère de certitude, la franchise qui distinguent la manière de M. Busson, et qui assurent à ces deux paysages des Landes, à ces études si l’on veut, une place d’élite parmi les œuvres du même genre exposées au Salon.

C’est aussi en dehors des autres paysages qu’il faut classer les deux toiles peintes par M. Haussoullier : une Vallée du Mont-Saint-Jean, près d’Honfleur, et un Chemin dans la forêt de Toucques, car ici l’originalité du sentiment est manifeste, et le parti-pris de véracité sans merci. Au premier aspect, le regard un peu déconcerté par la crudité apparente du coloris hésite et se prend peut-être à soupçonner une sorte d’arrogance là où il n’y a en réalité qu’une entière bonne foi. Généralement en matière de paysage notre éducation s’est faite devant les tableaux plutôt qu’en face de la nature. À force de voir l’harmonie pittoresque résulter de tons rompus et de formes sacrifiées, nous nous sommes exagéré à nous-mêmes la nécessité des concessions et des mensonges, nous avons fini par oublier à peu près le modèle pour ne considérer que le portrait. La Vallée peinte par M. Haussoullier s’adresse à des regards sans préjugés, et lors même qu’on serait tenté d’accuser ici l’extrême intensité ou l’uniformité des tons, on apprécierait la finesse avec laquelle chaque contour est dessiné, chaque forme de détail étudiée et rendue. Ce talent de dessinateur, l’artiste l’apporte d’ailleurs dans l’exécution d’œuvres d’un tout autre ordre. Deux profils de jeunes filles qu’il a exposés sont modelés avec une délicatesse et une sobriété de moyens aussi peu conformes à la manière habituelle des peintres