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Des différens tableaux que M. Breton a exposés, le plus séduisant est sans doute le Rappel des Glaneuses ; mais il ne suit pas de là que la somme de talent soit moindre dans la Plantation d’un Calvaire, ni même dans le Lundi. À ne considérer que le nombre des figures, les conditions particulières de la composition et du coloris, nous croyons au contraire que le second de ces tableaux est supérieur au premier. Dans les Glaneuses, la fin du jour, si bien exprimée d’ailleurs par le ton du ciel et par la lueur qui glisse sur les terrains depuis l’horizon jusqu’aux premiers plans du tableau, le parti d’ombre qui dessine en silhouettes vigoureuses les figures marchant le dos tourné à la lumière, tout offrait des ressources pittoresques et de sûrs élémens d’effet. L’écueil à éviter était un contraste trop violent entre les parties claires et les parties obscures ; mais ce contraste, même tempéré comme il l’est ici par des reflets, tournait au profit de l’aspect général et en simplifiait les conditions. Dans la Plantation d’un Calvaire, point d’oppositions de ce genre, point d’ombre ni de lumière en quelque sorte. Le soleil est absent de ce ciel de novembre sur lequel se dessinent, au fond, quelques pauvres maisons, quelques arbres dépouillés de leurs feuilles, et, à droite, les murailles blanchâtres d’une église. Une longue procession où n’apparaissent que des gens misérablement vêtus, des habits aux couleurs effacées, défile parallèlement à la base du tableau jusqu’au point où la tête du cortège se détourne et se dirige, vue en raccourci, vers le fond. Sur le devant, quelques femmes agenouillées dont l’une porte une ample mante de couleur claire, — problème pittoresque difficile à résoudre et précisément contraire aux traditions d’atelier, qui prescrivent comme repoussoirs nécessaires les tons vigoureux, — d’autres femmes, accompagnant la procession sans entrer dans les rangs, rompent l’uniformité des lignes générales et enrichissent suffisamment la composition. On le voit, nulle intention conventionnelle dans la mise en scène, nulle précaution même en apparence pour se réserver des moyens d’effet et de coloris. Et cependant comme ces tons éteints au premier aspect ou confondus dans une harmonie tranquille ont chacun sa physionomie et son accent ! Avec quelle vraisemblance chaque forme se relie à la forme voisine sans rien perdre du caractère qui lui est propre, sans trahir un calcul d’agencement, une ruse pour combler un vide ! Dira-t-on que l’instinct de la beauté fait défaut à ce pinceau sincère avant tout, mais sincère à la façon de certains artistes florentins du XVe siècle qui trouvaient dans l’expression de la vérité même le secret du style noble et de la grandeur : nous recommandons aux moins clairvoyans, entre autres morceaux remarquables, la figure tout entière de la femme qui, au