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pas à s’endormir dans son humide abri. Deux heures s’étaient à peine écoulées, lorsque Filippo, qui avait l’oreille au guet, entendit le pas lourd d’un homme évidemment chaussé de fortes bottes, comme en portent les habitans de ces contrées marécageuses. Cet homme s’avançait en sifflant un air bien connu le long du sentier qui serpentait au-dessus de leur tête. Un chien accompagnait le campagnard. Arrivé à quelques pas de la cachette des deux frères, le chien s’arrêta court, fit entendre un aboiement étouffé, et comme s’il ne pouvait se donner le temps d’en dire davantage, il se précipita le museau contre terre dans l’intérieur du fossé. Filippo avait déjà reconnu un des chiens de la ferme; mais sa joie fut grande lorsqu’il reconnut aussi la voix mâle de son frère aîné. — Lampo, qu’y a-t-il ? criait Pietro. Laisse le gibier tranquille, mon chien; je ne suis pas d’humeur à chasser.

— Descends par ici, Pietro, cria Filippo, tout en répondant aux caresses du chien qui lui léchait les mains, et qui, sans respecter le sommeil de Paolino, bondissait d’un frère à l’autre, à moitié fou de joie. Descends par ici, et tu ne seras pas fâché de voir le gibier qu’a déterré Lampo.

— Divine miséricorde! est-ce toi? est-ce vous? s’écria Pietro. Et le pauvre garçon, pâle et tremblant d’émotion, embrassait ses frères et paraissait ne pouvoir se détacher d’eux. — Merci, Seigneur! disait-il, vous n’êtes pas morts! Ah! notre pauvre père, comme il va être content! Vous aurez peine à le reconnaître, hélas! tant il est changé! Ces derniers jours l’ont plus vieilli que les dernières quarante années. Et vous êtes vivans, bien portans! et vous n’êtes pas blessés! Si vous saviez quelles nouvelles nous avions reçues!

La joie de Pietro se calma subitement lorsqu’il s’aperçut qu’une partie de ses félicitations était hors de propos. Paolino s’efforça de le rassurer sur la gravité de son état; mais une blessure reçue à la guerre a pour les gens de la campagne quelque chose de mystérieux et d’effrayant. Filippo d’ailleurs se mit à parler de fuite, de dangers de capture, d’exécutions militaires, et Pietro se trouva bientôt aussi troublé qu’il s’était senti joyeux quelques minutes auparavant. Tous trois convinrent enfin que les bâtimens intérieurs de la ferme étaient la plus sûre retraite pour les fugitifs, pourvu toutefois qu’ils parvinssent à s’y introduire sans être aperçus des journaliers. On attendrait pour cette tentative la tombée de la nuit. Paolino demeurerait caché aussi longtemps que sa blessure exigerait du repos; Pietro ferait une course à la ville dès le lendemain; il y récolterait les nouvelles et les moindres bruits. Selon la gravité des événemens, on cacherait Filippo comme on cachait Paolino, ou bien