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demande pardon à Dieu et à ma femme. J’ai cru bien faire, c’est tout ce que je puis dire en ma faveur...

Les voix émues de la famille entière vinrent interrompre le vieux fermier. Que se passait-il donc dans le monde pour que la toute-puissance et l’infaillibilité paternelles se sentissent ébranlées dans l’un de leurs plus dignes représentans au simple contre-coup des événemens du dehors? Encouragé par cette émotion générale à prendre la parole, le taciturne Pietro s’approcha de son père. — Je comprends, lui dit-il, ce que vous éprouvez, et je crois que vous avez raison jusqu’à un certain point, mais pas entièrement. J’ai moi-même adopté vos principes, et il me serait impossible à cette heure d’en changer, de suivre par exemple la voie que mon frère a choisie. Pourtant les opinions qu’il vient de nous exposer, les actes qu’elles lui ont inspirés, ne peuvent déplaire à Dieu. Non, nous ne sommes pas propres à prendre notre part dans les événemens d’aujourd’hui ni dans ceux qui vont se succéder; mais si vous ne nous avez pas appris à nous mêler activement et dignement dans les troubles de notre temps et de notre pays, vous nous avez appris autre chose, mon père. Vous nous avez appris à vivre honnêtement selon la loi de Dieu, et à nous contenter de notre sort. Je comprends aujourd’hui combien les limites de la vie qui m’est faite sont étroites, et je ne l’en accepte pas moins telle qu’elle est avec reconnaissance. Que la raison et le bon droit combattent avec nos amis ou avec leurs ennemis, le pauvre cultivateur de ces campagnes n’a pas besoin de savoir ce qui en est pour semer ou pour récolter. Instruits ou non des causes de la guerre, le fils honorera toujours son père, le père de famille élèvera et chérira toujours ses enfans. Même dans notre humble sphère, nous trouverons peut-être l’occasion de rendre service à nos compatriotes, sans nous ériger en juges de leurs griefs. Convaincu donc que, tout en demeurant à l’écart des affaires publiques, j’ai encore bien des devoirs à remplir, je vous dis du fond du cœur : Merci, mon père, pour le sort que vous m’avez fait!

Mme Stella ne savait trop sous quelle bannière se ranger; mais pendant qu’elle hésitait, elle ne détachait pas son regard du visage de Paolino. Or cette contemplation lui apprit bientôt que jamais jusqu’à ce jour le jeune étudiant n’avait eu si bonne mine, l’œil si vif, le teint si coloré, et cette découverte l’absorba tellement qu’elle ne lui laissa plus le loisir de poursuivre ses délibérations intérieures. Elle se sentit néanmoins disposée à l’indulgence envers une révolution qui avait produit sur la santé de son bien-aimé plus d’effet que toutes les ordonnances jadis émanées des docteurs.

Après cette conversation, Paolo fut absent pendant plusieurs.