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quelquefois naïve et quelquefois effrontée, que ses camarades de la pension jetaient sur son grand cousin, lorsqu’il venait lui apporter soit un message, soit un présent de ses protecteurs. Elle ne devina point par malheur les tendres et graves pensées qui remuaient ce brave cœur, et les eût-elle devinées, il est douteux qu’elle eût su les apprécier à leur juste valeur. Le père et la mère, qui nourrissaient leurs projets de mariage, voyaient avec plaisir les attentions de Pietro pour sa cousine, n’imaginant pas que cette affection naissante put devenir pour leur fils une source d’amères déceptions.

Tel était l’état des choses à la ferme, lorsque Paolino, ayant terminé ses études, revint y passer quelque temps en attendant qu’il eut fait choix d’une carrière. Il n’y demeura que quelques semaines avant de se rendre à l’université de Pavie, où il comptait poursuivre ses études et prendre le diplôme d’ingénieur, profession pour laquelle il s’était décidé après maintes délibérations avec son oncle, et qui exigeait encore au moins trois années de travail préparatoire. Pavie n’étant qu’à une petite distance de la ferme, on arrêta que le futur ingénieur passerait dans sa famille tous les jours de liberté que lui laisseraient ses professeurs, et cet arrangement, qui convenait fort au jeune homme, fut scrupuleusement suivi.

Paolo n’avait pas tenu toutes les promesses de son enfance, et ses professeurs avaient dû reconnaître qu’il ne serait jamais ni un Volta ni un Galvani. Ce n’est pas qu’il manquât d’intelligence; loin de là : il apprenait avec facilité et retenait fort bien ce qu’il avait appris; il aimait passionnément la lecture. Si Paolino était né en France, il se fût peut-être précipité dans la littérature: il eût commencé par écrire des odes, des élégies, puis des romans et des drames, pour finir par des articles de journaux; mais la vieille Lombardie n’est pas devenue encore un terrain favorable aux ambitions littéraires. Quiconque n’y est pas assez riche pour ne rien faire est condamné ou à travailler de ses mains ou à suivre une profession. Les cadres y sont tout faits; il faut les accepter ou mourir de faim. Rendons justice à Paolo : il se soumit sans trop murmurer aux conditions qui lui étaient imposées, et quoiqu’il ne trouvât dans les études sérieuses et positives auxquelles il était livré qu’ennui et dégoût, il n’eut pas un instant la pensée d’abandonner sa carrière, ni de regretter le choix qu’il avait fait. Ses distractions n’avaient non plus rien de coupable : ni le jeu, ni le vin, ni le libertinage n’avaient pour lui d’attraits, et il eût autant aimé se jeter dans le Tessin que de se présenter chez son père après une nuit d’ivresse, une perte au jeu ou une partie de débauche. Sa principale dépense était un abonnement à un mauvais cabinet de lecture, d’où il tirait autant d’ouvrages de littérature et de pamphlets politiques qu’on pouvait lui en fournir.