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cela est arrangé, et si je mourais aujourd’hui, mes enfans ne seraient pas des mendians. Si au contraire Dieu m’accorde encore quelques années de vie et de prospérité pareille à celle dont j’ai joui jusqu’ici, ils seront plus qu’à leur aise, bien plus que je ne l’étais moi-même en commençant.

Déjà quatre de ces discussions avaient fini par la défaite du négociant novateur; mais il était décidé cette fois à ne pas se laisser décourager. Le plus jeune des garçons n’était doué ni de la force corporelle, ni de l’énergie de caractère, ni de la bonne humeur de ses aînés. Atteint dès sa plus tendre enfance d’une fièvre nerveuse, il était resté faible et souffreteux. Ses parens n’avaient jamais osé le soumettre au régime qui réussissait si bien à ses frères, et dès lors Paolo ou plutôt Paolino, car c’était par ce diminutif qu’on le désignait d’ordinaire, devint une exception, une anomalie dans la famille. Le fermier n’était pas plus que sa femme de force à trouver ni à inventer des méthodes d’éducation appropriées aux caractères différens, aux constitutions variées de ses nombreux enfans. Ne pouvant appliquer leur méthode unique à Paolino, M. et Mme Stella se passèrent de méthode. Jugeant l’enfant trop délicat pour supporter la règle un peu sévère, mais bonne, qu’ils préféraient, ils l’affranchirent de toute règle, et eux-mêmes ne s’en imposèrent d’autres à son égard que de ne pas le contrarier. Toute la famille, père, mère, frères et sœurs, regardait Paolino avec une tendre commisération. Ces bonnes gens auraient cru commettre un crime en lui faisant verser une de ces larmes qu’eux-mêmes versaient vingt fois par jour sans se croire pour cela plus à plaindre. Paolino avait sans doute reçu en naissant une bonne part des solides qualités de ses parens, puisqu’ils ne parvinrent jamais à en faire un enfant gâté, c’est-à-dire un égoïste impérieux et un menteur. Il avait maints caprices, mais il renonçait volontairement à les satisfaire dès qu’il apercevait dans le regard de sa mère une expression de chagrin ou d’embarras; il aimait ses frères et surtout ses sœurs avec passion, apprenait en un clin d’œil ce qui avait coûté aux autres fils du fermier d’héroïques efforts de volonté et d’application, et n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il s’apercevait qu’un objet à lui appartenant serait agréable à l’une des personnes qu’il aimait. Paolino était donc ce qu’on appelle un très gentil garçon, et l’affection si vive qu’il inspirait autour de lui était parfaitement justifiée. Malheureusement, il faut le dire aussi, Paolino était un détestable agriculteur. C’est à peine s’il distinguait l’épi du froment d’avec l’épi du seigle; il ne prévoyait un orage qu’après le premier coup de tonnerre, et s’il se décidait par hasard à suivre ses frères et son père aux champs, il ne tardait pas à se séparer