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une moyenne qui ne s’écarte pas trop de la rigoureuse vérité. Les chiffres auxquels nous sommes arrivé à l’aide de ces comparaisons sont de 1 fr. 50 cent, à 1 fr. 75 cent, pour les hommes, 1 fr. à 1 fr. 25 c. pour les femmes, 20 c. à 60 c. pour les enfans. Si, pour faciliter l’appréciation de l’aisance dans les familles, on voulait déterminer une moyenne applicable à tous les ouvriers sans distinction d’âge ni de sexe, on ne pourrait pas, croyons-nous, la porter au-delà de 1 fr. 25 c. par jour, même en tenant compte de certaines circonstances tout à fait exceptionnelles, qui font hausser le taux de la rétribution[1]. Avec ce chiffre de 1 fr. 25 c. par jour, le gain annuel de l’ouvrier monterait à 387 fr. 50 c. pour trois cent dix jours ouvrables, et le budget des recettes d’une famille comprenant trois travailleurs à 1,162 fr. 25 c ; mais les chômages qui se produisent couramment chaque année obligent de réduire ces chiffres d’un sixième, et de les fixer par conséquent à 322 fr. 90 c. et à 968 fr. 75 c. Telles sont les ressources avec lesquelles il faut faire face à tous les besoins, sauf le cas où quelque travail agricole vient les accroître un peu ; mais le produit de ce dernier travail peut tout au plus compenser la réduction opérée pour cause de chômage. Il s’en faut bien, disons-le en passant, que la taille du diamant s’effectue à aussi bas prix à Amsterdam. Les lapidaires hollandais gagnent trois ou quatre fois plus par jour, déduction faite des frais de location de leur place à l’usine[2].

Si modiques que soient les revenus qu’elle tire de son industrie, la peuplade des lapidaires de Septmoncel est loin d’attrister les regards par cet air d’abandon qu’on rencontre quelquefois parmi les ouvriers d’autres localités, et qui est toujours un infaillible indice de misère. Tous les élémens dont se compose la vie locale témoignent au contraire d’un véritable soin et, si j’osais le dire, d’une

  1. Un fait récent mérite d’être signalé. La crise des subsistances de 1855 et de 1856, qui a été si cruelle sur d’autres points de la France, notamment dans quelques départemens du centre, s’est fait peu sentir à Septmoncel : le travail était alors très actif, et les salaires satisfaisans. Retour singulier, du moins en apparence ! la situation est devenue moins facile à partir de 1857, au moment où les causes générales de gêne allaient en s’amoindrissant. Les commandes de la joaillerie avaient diminué, et la situation des familles ouvrières devenait par suite moins favorable, quoique le prix des denrées alimentaires eût baissé. Cela ne semble-t-il pas signifier que la clientèle de la joaillerie s’était un peu épuisée pendant la disette pour soutenir les habitudes de luxe antérieurement contractées ? Le commerce des bijoux est un de ceux qui peuvent le mieux faire juger de l’état général de la société au point de vue de l’économie politique.
  2. Les lapidaires d’Amsterdam sont presque tous Israélites. Ils forment une sorte de tribu occupant un quartier distinct dans le voisinage des fabriques, tribu facile à passer en revue, car, chaque fois que le temps le permet, les familles se tiennent dans la rue, devant leurs maisons. Le quartier juif à Amsterdam est une sorte de forum. Tous les ouvriers se connaissent personnellement entre eux.