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d’Amsterdam, si renommée pour la taille des diamans, et dont je visitai les usines après mon voyage dans le Jura[1]. Quelques traits différentiels entre la constitution de l’une et de l’autre fabrique méritent d’être mentionnés, parce qu’ils sont de nature à mieux faire ressortir certaines singularités du travail septmoncelois.

Il y a une première et notable différence entre le traitement des pierres précieuses dans le Jura et la taille des diamans en Hollande, c’est qu’en France le lapidaire travaille chez lui, en famille, tandis que le travail s’exécute là-bas dans des établissemens renfermant plusieurs centaines d’ouvriers, pourvus de puissans appareils à vapeur et présentant l’aspect d’ateliers industriels de premier ordre. Le régime intérieur de ces grandes fabriques, considéré dans ses caractères essentiels, ne ressemble en rien cependant à celui des usines ordinaires. L’ouvrier n’y est point rétribué par l’établissement où il travaille, c’est lui qui paie une redevance aux propriétaires. Il loue une place dans l’usine, comme cela se pratique dans un marché ou dans un lavoir public, ou plutôt il loue une certaine quantité de la force produite par les moteurs mécaniques, c’est-à-dire la force qui fait tourner la roue sur laquelle s’opère la taille du diamant. Le prix de location varie de 1 florin (2 fr. 10 cent.) à 1 florin 60 (3 fr. 40 cent.), suivant la dimension de la roue, pour douze heures de travail[2]. La création encore récente de ces grandes usines est venue opérer une véritable révolution dans l’industrie du diamant. Il y a environ une trentaine d’années, on comptait à Amsterdam vingt ou vingt-cinq ateliers, dans lesquels les ouvriers faisaient mouvoir chacun sa roue, et où la taille s’opérait moins vite et plus chèrement qu’aujourd’hui. Ce sont des joailliers qui ont pris l’initiative de ces fondations : ils avaient commencé par acheter les anciens ateliers, et, soit dit en passant, ils les avaient même payés

  1. Voyez, sur les lapidaires d’Amsterdam, l’intéressante étude de M. Alphonse Esquiros dans la livraison du 15 octobre 1850. Amsterdam est la première place du monde pour le travail du diamant dans de grands ateliers. Si quelques fabriques existent ailleurs, en Belgique, en Angleterre, elles sont éparses et infiniment loin d’égaler l’importance de celles d’Amsterdam. On avait songé à Londres à accaparer ce genre de travail ; mais c’est en vain qu’on faisait venir de Hollande des ouvriers lapidaires, comme pour d’autres industries on fait venir de France des dessinateurs, des ciseleurs, etc. : il se trouvait qu’une fois détachés de leur groupe originel, ces transfuges ne conservaient pas intacte leur habileté primitive.
  2. À cette somme vient s’ajouter une rétribution d’ailleurs très légère pour l’éclairage pendant la soirée. Les ouvriers sont généralement abonnés à la fabrique ; autrement ils paient un peu plus cher. Dans les momens où les ateliers ne sont pas trop remplis, on tolère que deux personnes se servent de la même roue, du moins pour la taille des petits diamans. On compte, à Amsterdam trois ou quatre établissemens de ce genre, ce qui est beaucoup pour une industrie d’un caractère aussi exceptionnel. La fabrique la plus considérable emploie une force de 40 chevaux-vapeur, qui met en jeu 400 roues et fournit ainsi place à 400 ouvriers au moins.