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d’anciennes marches en pierre qui ne servent aujourd’hui qu’à embarrasser la voie publique. Celles la commune de Septmoncel serait assez riche pour améliorer ses chemins[1], mais personne n’en éprouve le besoin. On est tellement accoutumé aux routes difficiles qu’on ne s’aperçoit même pas qu’une voie soit incommode. Je me suis trouvé à Septmoncel le jour d’une grande solennité religieuse, la Fête-Dieu; j’ai vu ces chemins défoncés, ces sentiers raides et pierreux parcourus par une procession d’un pas aussi sûr et aussi solennel que si elle avait suivi une des plus belles rues de nos cités.

Le pays environnant Septimoncel est à peine frayé par les pas des hommes; aussi est-il hanté de temps en temps, l’hiver surtout, par des hôtes farouches assez nombreux, des loups et des ours. Lorsque les grands froids durent longtemps, les loups s’avancent jusqu’aux abords des villages. Quant aux ours, en aucune saison ils ne se rapprochent autant des lieux habités[2]. C’est envers le bétail seulement qu’ils se montrent agressifs. Ainsi durant les nuits d’été, que les troupeaux de vaches passent en plein air[3], les ours rôdent incessamment pour surprendre quelque bête isolée. Lorsqu’elles sont réunies, les vaches savent bien se protéger. Laissées sans garde dans les montagnes, elles ont l’instinct, lorsque la nuit arrive, de se coucher en rond par groupes serrés autour de quelque arbre de la forêt, de manière à présenter de toutes parts un front inattaquable. Vainement on fait aux bêtes fauves une guerre énergique, vainement on célèbre dans ce pays, à peu près comme en Afrique quand il s’agit de la destruction des lions, les chasseurs qui déploient le plus d’audace et obtiennent le plus de succès : l’ennemi trouve toujours des retraites inaccessibles dans les voisines montagnes de la Suisse. Ces refuges empêcheront probablement d’en détruire complètement la race, comme en Angleterre on y a réussi.

Sur ces plateaux sauvages, le sol est partagé en forêts, pâturages et terres complètement improductives. Le domaine de la culture y est encore plus restreint que sur les premières arêtes où nous avions séjourné. Les produits que la population du district de Septmoncel tire du travail agricole ne suffiraient pas pour la

  1. La commune de Septmoncel est propriétaire de bois évalués à environ 400,000 fr. On comprend en général, sous le nom de bois de Septmoncel, un domaine d’une valeur beaucoup plus grande estimé près d’un million et demi de francs; mais ces forêts sont la propriété de quatre communes, Septmoncel, La Moara, Les Molunes et La Darbella.
  2. Une seule race d’ours, la race rousse, est à redouter; les ours noirs viennent parfois pâturer amicalement au milieu des troupeaux.
  3. Les vaches, que les neiges obligent à tenir renfermées dans les étables durant de longs mois, n’y rentrent plus pendant l’été. Les nuits passées en plein air rafraîchissent, dit-on, leur lait, et le rendent plus propre à la fabrication du fromage.