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et turbulent duc de Bourgogne, qu’enveloppèrent si souvent les trames de son taciturne adversaire de Plessis-lès-Tours, les accusait déjà dans des discours publics d’apathie et de faiblesse[1] : reproche injuste dans les circonstances où il était fait, mais qui indique sous quel jour dès lors se dessinaient les caractères.

L’absence d’expansion, ou, si l’on veut, la réserve outrée qui entrave la manifestation des sentimens individuels, jointe à l’attachement aux vieilles routines, porte à croire que le chef-lieu du département du Jura conservera longtemps sa physionomie présente. En vain cette ville sera réunie par quelque embranchement ferré au réseau de nos grandes lignes; elle n’en profitera guère pour se transformer. On dirait un nid où le germe du progrès n’est point suffisamment échauffé pour éclore. L’immobilité locale tient moins à l’isolement qu’aux dispositions natives de la population. Toute industrie propre à stimuler les volontés fait absolument défaut. Les bras prêtent à des productions vulgaires le concours de la force matérielle, rien de plus. La réflexion, le coup d’œil, le sentiment des proportions, en un mot tout ce qui exige dans le travail l’intervention de la partie la plus noble de l’homme paraît chose superflue. Dans le bas Jura au surplus, l’état des esprits est à peu près le même partout. Tandis que dans la partie montagneuse l’homme, en lutte avec la rigueur du climat et l’âpreté du sol, déploie la plupart du temps une industrieuse activité, on le voit dans les plaines, sous un ciel plus clément et sur une terre moins rebelle, s’abandonner volontiers à un incurable engourdissement.

Deux routes conduisent, de Lons-le-Saulnier à Septmoncel, l’une par Clairevaux, l’autre par Orgelet; elles se rejoignent près de Saint-Claude. La première est la plus pittoresque; c’est celle que nous avons suivie. Quoique très montueuses l’une et l’autre, elles sont sûres et commodes, je ne parle pas pour les voyageurs à pied, qui s’arrangent de tout, mais même pour les voitures. On peut aujourd’hui en dire autant de toutes les grandes routes du département du Jura. Le temps n’est pas loin de nous d’ailleurs où elles étaient dans le plus déplorable état. A peine y a-t-il trente ans qu’on a entrepris de les améliorer ou plutôt de les reconstruire. Les anciennes voies qu’on découvre encore çà et là le long de côtes abruptes attestent d’une façon irrécusable l’importance des travaux effectués. Ici on a supprimé au moyen de profonds remblais des détours fatigans, là on a substitué à des pentes périlleuses une ligne qui s’élève doucement en spirale entre des ravins et des rochers

  1. Les accusations pleines d’acrimonie de Charles le Téméraire avaient surtout éclaté au lendemain de sa défaite à Morat, devant les remontrances opposées par les états de la province réunis à Salins à la demande d’une nouvelle levée d’hommes et d’un nouveau subside.