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coteaux de la Bourgogne, d’où l’on vient de sortir. Des plaines très légèrement ondulées y rappellent un peu celles de la Flandre, quoique recouvertes d’une végétation bien moins vigoureuse. Aux abords de Lons-le-Saulnier, quelques hauteurs abruptes se dessinent à l’horizon, mais elles n’ont point encore la majesté des montagnes. Si vous exceptez un ou deux villages perchés sur des coteaux et cachant à demi leurs blanches maisons derrière des groupes d’arbres, vous ne découvrez nulle part de sites animés ni de vivans paysages. Quoiqu’elle n’ait ainsi presque rien dans son entourage qui mérite d’être remarqué, la ville de Lons s’est vue trop négligée jusqu’à ce jour. La situation qu’elle occupe aux limites extrêmes du haut et du bas Jura suffit pour qu’elle offre un réel intérêt à tout voyageur un peu curieux des contrastes. On est ici à peu près comme dans ces régions célèbres du nord de l’ancienne Grèce où l’on avait sous la main, d’une part les molles vallées de la Thessalie, et de l’autre les âpres sommets de l’Hémus.

Il semble difficile de s’expliquer de prime abord comment Lons-le-Saulnier a pu se former si loin de toutes les voies suivies par le commerce. Que le choix de cet emplacement n’ait pas été néanmoins un pur effet du hasard, cela devient évident dès qu’on sait qu’il existe aux portes de la ville des puits salés qui lui ont valu son surnom, et qui étaient connus dans les temps les plus reculés. On aura bâti là quelques cabanes pour loger les ouvriers, et le village se sera grossi peu à peu par suite du développement des exploitations. Le titre de chef-lieu de préfecture que reçut Lons-le-Saulnier lors de la division de nos anciennes provinces en départemens, sans doute à cause de sa position à peu près centrale, amena nécessairement une certaine extension de la cité[1]. Dans une ville si nouvellement échappée à une longue obscurité et arrivée d’hier à une sorte d’existence publique, il semble qu’on devrait se montrer favorable aux innovations modernes, et désireux de s’approprier les récentes conquêtes de l’industrie. On est loin de là : la population se complaît dans l’immobilité de ses anciens usages. La classe aisée même n’a pas l’idée de ce comfort qui a pris une si large place dans les habitudes de la société contemporaine. Tandis que dans beaucoup de villes de province on pousse trop loin l’ambition d’imiter Paris, à Lons-le-Saulnier on n’éprouve pas d’autre désir que celui de continuer à se ressembler à soi-même. Aucune application un peu étendue dans l’ordre industriel ne vient d’ailleurs stimuler les activités locales. Si l’on porte les yeux

  1. Ce fut là un grand sujet de jalousie pour la ville de Dôle, qui, servie par quelques manifestations publiques, parvint un moment à obtenir le titre de chef-lieu de préfecture, mais pour le perdre aussitôt après le 9 thermidor.