Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sévérités sociales, instrumens de mort, prisons, tribunaux, police. La société peut désarmer, quand les membres apprennent à connaître leurs devoirs et se trouvent plus capables de demander leur subsistance au travail. C’est là une vérité que l’économie politique a dès longtemps constatée, et qu’elle travaille incessamment à répandre : il ne faut pas qu’elle soit invalidée, pour les esprits sérieux, par tous ces récits qui nous arrivent de l’autre côté de l’Atlantique, et où trop souvent le crime impuni, la loi impuissante, offrent un thème facile aux déclamations des ennemis de la république américaine. Ceux qui, sur la foi de ces récits, penseraient que la vie, la propriété, jouissent dans les états de la Nouvelle-Angleterre de moins de sécurité qu’en Europe seraient complètement dans l’erreur. Sur leurs immenses frontières, il est vrai, les États-Unis touchent au désert, et la vie civilisée y avance par étapes rapides dans le domaine de la vie sauvage ; mais est-ce par les mœurs du far west y des territoires à demi civilisés, où, à défaut de loi régulière, s’exerce seulement la loi de Lynch, qu’il serait équitable de juger la moralité de la république américaine ? Non, sans doute : si l’on veut connaître les effets véritables des principes politiques inaugurés par les colonies anglaises quand elles se détachèrent de la métropole, il faut les étudier dans les vieux états, et seulement dans ceux où l’esclavage n’a pu les défigurer entièrement. Là même, ce n’est point dans quelques grandes villes, envahies par la multitude grossière des émigrans, qu’il faut observer ce que j’appellerai les véritables mœurs américaines. C’est surtout parmi les populations rurales « u’on trouvera ce que nulle autre contrée au monde ne présente : la moralité, le bien-être, la culture intellectuelle dans tous les rangs, la pratique la plus parfaite des institutions communales, la misère inconnue, quelque chose, en un mot, qui rappelle les rêves les plus chimériques de quelques réformateurs, sans que néanmoins rien y diminue le sentiment vif et sain de l’indépendance personnelle.

Ce que les efforts tentés dans cette partie de l’Union en matière d’éducation publique offrent de plus remarquable, c’est que l’état n’a point mis de limites précises à ses obligations envers les individus ; on admet au contraire que cette limite doit varier sans cesse. Il y a, si l’on peut s’exprimer ainsi, un certain zéro d’instruction au-dessous duquel personne ne reste ; mais ce zéro lui-même va en s’élevant, à mesure que la culture générale de l’esprit, la richesse, la prospérité publique s’accroissent. Après avoir pendant longtemps considéré la lecture, l’écriture, le calcul, comme des élémens suffisans de l’instruction publique, on est arrivé dans la Nouvelle-Angleterre à augmenter de beaucoup ces rudimens. On veut que l’état fournisse aux ()lus déshérités de ses membres une instruction assez complète pour qu’ils puissent arriver avec quelques