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obligation, invoquée aux jours révolutionnaires de notre histoire, n’a jamais été reconnue par aucune nation. Ce principe est, par les meilleurs esprits, considéré non-seulement comme impraticable, mais encore comme dégradant. Cependant, si l’on ne doit opposer qu’un refus formel à ceux qui réclament le travail comme un droit, on a reconnu la nécessité de subvenir aux besoins de ceux qui, après l’avoir cherché, ne l’ont pas trouvé et qu’une inaction forcée jette dans la misère. Ajoutons qu’à aucune époque les questions difficiles de l’assistance publique n’ont ému autant d’âmes généreuses que dans la nôtre. Jamais on n’a fait autant d’efforts, toujours nobles s’ils ne sont pas toujours intelligens, pour arracher au malheur cette partie de l’humanité dont le sort semble un éternel reproche à ceux qui n’en partagent point les rigueurs.

La société enfin doit-elle à tous l’éducation première ? Longtemps, il faut bien le dire, l’éducation n’a été accordée qu’au plus petit nombre, avec parcimonie, à titre de générosité : en Amérique, elle a été proclamée comme un droit, aussi général, aussi peu contestable que tous les autres droits qui soutiennent l’édifice social. De même que la société défend tout citoyen contre le vol, l’assassinat, la faim, elle le défend aussi contre l’ignorance. Les états de la Nouvelle-Angleterre ont depuis longtemps mis ce principe en pratique. Aucune commune nouvellement fondée ne reçoit la charte qui l’incorpore sans que l’obligation d’élever une école n’y soit mentionnée. Un homme qui ne sait point lire est aux États-Unis une rareté qui ne se rencontre jamais parmi ceux qui sont nés dans le pays. Les malheureux émigrans représentent seuls la triste ignorance du vieux monde, et dès la seconde génération le niveau se trouve rétabli.

La constitution politique des États-Unis fait de l’instruction élémentaire une absolue nécessité. On a vu, on voit encore de grandes monarchies, des aristocraties puissantes, appuyées sur un peuple ignorant : une démocratie ne se conserve que si elle accorde à tout citoyen les moyens d’apprendre à accomplir avec intelligence les devoirs qu’elle impose. Les hommes sensés aux États-Unis ne partagent point l’étrange illusion de ceux qui voient dans le simple nom d’homme un titre politique : ils comprennent qu’on ne naît pas citoyen, mais qu’on le devient. L’éducation n’est pas d’ailleurs envisagée seulement dans la démocratie américaine comme une nécessité de l’ordre politique, elle est aussi regardée comme un frein, un préservatif social. On y croit, et avec beaucoup de raison, que plus l’instruction est distribuée avec libéralité, plus on a de garanties contre les crimes, les passions qu’engendrent l’ignorance et la misère. Ce que la loi punit, l’éducation le prévient. À mesure que les écoles se multiplient, on voit diminuer l’appareil formidable des